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7 avril 2015 2 07 /04 /avril /2015 21:47

débats
Bruckner : « En France, dès qu’il s’agit de chrétiens, s’installe une rumeur de mépris »
VINCENT TREMOLET DE VILLERS

PROPOS RECUEILLIS PAR
LE FIGARO - Vous avez passé le week-end de Pâques à Erbil au milieu des réfugiés…
Pascal BRUCKNER - Je faisais partie d’une petite délégation, avec notamment Sylvain Tesson, venue au Kurdistan pour inaugurer une radio intercommunau- taire, al-Salam, qui veut dire la paix. Fondée par la Guide du Raid et Radio sans frontières, financée principalement par l’Œuvre d’Orient, elle se veut la voix des sans-voix. Majoritairement chrétienne, cette radio diffuse à l’endroit de tous les réfugiés, yazidis, sunnites, chiites, syriaques, Assyriens, etc.
À quoi ressemble Erbil aujourd’hui ?
C’est une ville en pleine expansion, à trente kilomètres de la ligne de front. On y trouve des dizaines de milliers de réfugiés répartis dans divers camps : chrétiens, Kurdes, Arabes sunnites et chiites. La lassitude des premiers est palpable : la prise du pouvoir par Daech, la fuite des soldats irakiens à l’été dernier déchirant leur uniforme, jetant leurs armes les a sidérés. Ils vous racontent tous comment leurs propres voisins et amis se sont emparés de leurs biens, occupés leurs appartements dès Daech installé. Celui-ci a fait inscrire sur leurs maisons la lettre N signifiant nazaréen. Leur départ brise un équilibre intercommunautaire pluriséculaire. Quant aux yazidis, n’étant pas de la religion du Livre, ils sont considérés comme des sous-hommes. Pour eux, c’est l’extermination et la mise en esclavage des femmes. Nous avons rencontré une famille chrétienne dont la petite fille de 3 ans et demi a été kidnappée par un émir et probablement revendue pour être mariée.
Un retour est-il possible ?
Difficilement. Il faudrait que Mossoul tombe très vite, ce qui est incertain. Deux scénarios se dessinent : celui d’une bataille longue et sanglante comme à Stalingrad ou celui d’une cinquième colonne à l’intérieur qui permettrait de reproduire ce que fut la libération de Paris. Il faut souligner ici le rôle exceptionnel du Kurdistan, nation en plein éveil : pluraliste, animé d’une combativité exceptionnelle, il incarne à lui seul la résistance à la barbarie. À Erbil, le patriotisme, la volonté de construire un État indépendant après des siècles d’errance et de massacres du peuple kurde l’emporte sur la foi et les querelles théologiques.
Pour les chrétiens, il n’y a pas de solution ?
Ils sont pris entre deux tragédies : partir, c’est mettre fin à des siècles de coexistence, les chrétiens formant le tissu conjonctif entre communautés. Revenir, c’est courir le risque de nouvelles persécutions. Rappelons qu’ils sont là depuis deux mille ans, que leur présence précède de six siècles celle de l’islam et qu’ils n’ont pas été convertis par les croisés. Leur disparition entraînerait avec elle un pan de l’histoire du monde et mettrait en péril le monde islamique lui-même. C’est pourquoi une partie de la jeunesse chrétienne choisit de prendre les armes et de s’engager
aux côtés des pechmergas.
Qu’avez-vous dit à ces réfugiés ?
Lors de la messe de Pâques, Mgr Gollnisch qui préside l’Œuvre d’Orient a demandé à ces personnes humiliées, bafouées, de ne pas cultiver la haine dans leur cœur et de pardonner à leurs ennemis. Je ne suis pas croyant mais, en entendant ces mots, je me suis souvenu d’avoir été baptisé. Pardonner à ses ennemis avant même qu’ils ne soient vaincus, n’est-ce pas le summum de la noblesse ?
Que vous inspire l’histoire de la RATP ?
Nous assistons les yeux grands ouverts à la « houellebecquisation » de la France. La RATP se soumet à l’autocensure préventive et insulte les victimes. D’autres comme Edwy Plenel et ses amis sont des houellebecquiens plus virulents et voudraient nous voir courber l’échine tout de suite. En France, dès qu’il s’agit de chrétiens, s’installe une rumeur de mépris. Avant mon départ pour Erbil, certains de mes amis ont ricané, me demandant s’il ne s’agissait pas là d’une cause de droite !
Le sanglot de l’homme blanc continue ?
Le christianisme est assimilé à tort à l’Occident dominateur, impérialiste, l’islam à l’insurrection des opprimés. Le premier est donc complice du mal absolu, le second éternellement innocent. Les chrétiens ne sont pas des bonnes victimes, ils n’ont pas la cote. Lorsque la guerre a éclaté à Gaza à l’été 2014, il y a eu de nombreuses manifestations en faveur des Palestiniens et c’est légitime. Mais personne n’a défilé pour les chrétiens d’Orient. Au kilomètre sentimental, cela veut dire que la vie d’un chrétien d’Orient, arabe lui aussi, vaut mille fois moins que celle d’un Palestinien. Cette hémiplégie du regard est stupéfiante.
Apparemment, le service de communication de l’Élysée a du mal à employer le mot « chrétien »…
L’Administration Obama avait fait de même à propos de la tuerie dans l’hypermarché Kasher. Cette pudeur linguistique tue les victimes une seconde fois. Bien nommer les choses, c’est les éclairer et dévoiler un projet précis : l’élimination progressive de toute présence chrétienne en terre d’islam qui est à l’œuvre sous nos yeux, au Kenya, en Irak et en Syrie. L’enjeu sémantique est fondamental : on nous intime de ne pas céder à « l’islamophobie » mais alors que de la Mauritanie au Pakistan, les chrétiens sont persécutés, condamnés, tués, le mot même de christianophobie n’a pas cours dans la langue. Formidable subterfuge : les victimes sont désignées comme des bourreaux et inversement.
Peut-on parler de génocide ?
Regardez l’histoire sur les 60 dernières années : les Juifs ont été chassés du monde arabo-musulman après la création de l’État d’Israël. Aujourd’hui, c’est au tour des chrétiens d’être lentement poussés dehors. Mouvement tectonique impressionnant. Ils étaient 1 200 000 en Irak, ils ne sont plus que 300 000, 1 300 000 en Syrie, ils ne sont plus que 700 000. Imaginons que demain tous les Juifs de France, effrayés par les attentats, partent en Israël. L’heure des chrétiens aura-t-elle sonné à son tour ? Probablement. Ce qui commence avec les Juifs se poursuit en général pour tous les autres : catholiques, protestants, intellectuels, athées, mécréants, musulmans libéraux. C’est un implacable mouvement d’horlogerie. Tout se passe comme si l’islam radical voulait effacer toute trace des deux monothéismes qui l’ont précédé et leur faisait payer leur antériorité. Il ne se pense pas comme une religion parmi d’autres mais comme celle qui les résume toutes et les rend donc inutiles. Pour cela, tous les moyens sont bons : l’intimidation, le meurtre, la censure… et en France les idiots utiles de l’extrême gauche.
Sommes-nous trop pusillanimes ?
Nous ne voulons pas admettre que nous sommes en guerre. Nous pourrions au moins exiger la règle de la réciprocité et que le crime d’apostasie soit supprimé en terre d’islam : il y a des mosquées à Rome, y a-t-il des églises à La Mecque, à Riyad, à Doha ? Un film comme L’Apôtre, récit de la conversion d’un jeune musulman au christianisme, n’a pas trouvé de diffuseur. En revanche, Qu’Allah bénisse la France qui retrace le parcours inverse n’a pas eu les mêmes difficultés. Que des Français choisissent de se convertir à l’islam, libre à eux. Mais à charge de revanche. Nous collaborons à notre propre défaite. Houellebecq, vous dis-je.

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