Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 août 2016 7 07 /08 /août /2016 21:20
  1. opinions

La rétention administrative des « fichés S » est légitime

Face au terrorisme, déroger à certaines libertés est justifié, estime le professeur de droit constitutionnel à l’École de droit de la Sorbonne-université Paris-I*.

Les attentats islamistes constituent, comme le reconnaissent nos gouvernants, des actes de guerre. Qui dit guerre, dit droit spécifique. Droit d’exception pour une situation exceptionnelle. Il convient alors de déterminer ce à quoi notre droit peut déroger et ce à quoi il ne doit pas déroger. La dignité de la personne humaine interdit que la mort soit prononcée en tant que sanction (mais non comme acte de légitime défense) ou que la torture soit légalisée. Il n’en est pas ainsi de la liberté d’aller et de venir, qui n’est pas sans limites. Certes, l’exceptionnel peut s’installer et menacer durablement nos libertés, mais le maintien de l’absolue primauté des droits individuels est mortifère. Placer des personnes soupçonnées en rétention administrative ou les assigner à résidence, expulser les étrangers condamnés ou suspectés sont des mesures qui s’imposent sous réserve de prévoir garanties et contrôles juridictionnels afin d’éviter l’arbitraire.

Certes, à ce jour, la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit une assignation à résidence ou une rétention administrative de simples suspects pendant une durée assez longue. Mais la jurisprudence du Conseil peut évoluer. Lorsqu’il examine la constitutionnalité d’une loi, le juge constitutionnel se livre à un contrôle de proportionnalité entre, notamment, les atteintes portées à la liberté individuelle et la protection de la sécurité nationale, dont il estime à juste titre qu’elle constitue elle-même une condition de la protection des droits et libertés individuels. Tout est alors une question de curseur.

Dans le passé, le Conseil constitutionnel a admis la rétention de sûreté au-delà de l’exécution de la peine pour les auteurs de crimes particulièrement graves (décision 2008-562 DC). C’est alors la dangerosité de l’individu qui est prise en compte et non sa punition. Le juge constitutionnel a aussi admis l’hospitalisation d’office de personnes dont la dangerosité résulte de l’altération de leur faculté mentale. En outre, le Conseil constitutionnel prend en compte le changement de circonstances. La conciliation entre la protection des libertés individuelles et les intérêts fondamentaux de la société ne peut être mesurée au même trébuchet en période de paix et de guerre. Comme le relevait le Conseil d’État dans l’arrêt Dames Dol et Laurent du 28 février 1919, « les limites des pouvoirs de police… ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre… il appartient au juge de tenir compte dans son appréciation des nécessités provenant de l’état de guerre ». Il est de ce point de vue inutile de jouer sur les mots, et cette guerre moderne menée par des mouvements islamistes s’embarrasse peu de nos catégories juridiques. C’est au législateur de prendre ses responsabilités et au juge de faire évoluer les critères de son appréciation. Si le Conseil constitutionnel ne faisait pas évaluer sa jurisprudence, il appartiendrait alors, et seulement alors, au Constituant de se prononcer, le cas échéant par la voie du référendum.

*Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Vice-président de l’Association internationale de droit constitutionnel.

BERTRAND MATHIEU

Partager cet article
Repost0

commentaires