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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 14:42
Constitution : Rien ne bouge et tout change
LE 6 MARS 2013 21H27 | PAR SAMUEL LE GOFF
Les éditions Lextenso viennent de publier un ouvrage de Bertrand Mathieu, intitulé « Constitution : rien ne bouge et tout change », où il présente, de manière succincte mais synthétique, les grands enjeux et les mutations du droit constitutionnel. Cet ouvrage est intéressant à plusieurs titres, pour les personnes qui s’intéressent au Parlement, au droit parlementaire et aux institutions en général.

On apprend dans ce livre que le droit constitutionnel évolue énormément, alors même que les textes constitutionnels ont formellement assez peu évolué, mis à part quelques toilettages, depuis 1958. Pourtant, quelques réformes en apparence anodines pour les profanes, ont amené de grands bouleversements. C’est par exemple la montée en puissance du Conseil constitutionnel, dont le rôle de contrôle a priori des lois a pris son envol en 1971-1974, et qui vient, depuis 2010, de se lancer dans le contrôle a posteriori. Nombre d’équilibres ont été modifiés avec l’irruption de cet acteur que l’on n’attendait pas, mais dont l’émergence est finalement assez logique et dans l’air du temps, quand on regarde comment cela se passe dans les autres pays. L’autre élément majeur, qui va de pair avec la montée en puissance des juges, c’est le basculement du droit constitutionnel de l’étude des mécanismes institutionnels de répartition et d’exercice du pouvoir, vers l’étude des droits fondamentaux, de leur place et de leur influence dans le système juridique. L’autre grand sujet qui intéresse les constitutionnalistes est l’articulation, complexe et toujours mouvante, entre le droit constitutionnel national et « l’ordre constitutionnel européen », que ce soient les traités ou la Convention européenne des droits de l’homme.

Ce livre est donc intéressant, car il permet d’avoir une idée de ce qu’est aujourd’hui le droit constitutionnel, ses problématiques et ses axes de travail. Il est aussi très intéressant par ce qu’il nous apprend des professeurs de droit constitutionnel…

L’auteur est un professeur de droit public « au sommet » de sa carrière. Professeur à Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel de cette université, président de l’Association française de droit constitutionnel, ancien membre de la commission Balladur, actuel membre du Conseil supérieur de la Magistrature. Autant dire qu’il est tout, sauf un marginal dans le milieu de la recherche en droit constitutionnel. On peut donc légitimement penser qu’à quelques nuances près, il exprime des positions dans lesquelles les autres membres de la « corporation » se retrouvent globalement.

La montée en puissance des juges, et pas seulement du juge constitutionnel, occupe beaucoup de place dans ce livre, avec une forte influence de Pierre Rosanvallon pour ce qui est de la légitimité politique du pouvoir des juges dans le système institutionnel et politique. Sur 192 pages, les questions « institutionnelles » pures, celles relatives à la répartition des pouvoirs entre organes politiques, sont traitées de la page 171 à la page 182. 11 pages en fin de livre, pour nous dire que le texte de la Constitution relatif à la répartition des pouvoirs entre le Président de la République, le Premier Ministre et le Parlement tiennent largement de la fiction, et que la pratique diffère du texte. Par contre, la régulation du « pouvoir » judiciaire à travers l’organisation du CSM est traitée des pages 129 à 145 et la QPC, des pages 150 à 170.

J’ai lu ce livre comme la description assez saisissante du recul des politiques face aux juristes. Les notions sur lesquelles reposent la légitimité des politiques sont critiquées, que ce soit le concept de souveraineté, ou encore celle de démocratie, où on voit poindre la revendication d’une supériorité de l’interprétation (écrite par les juristes) de la Constitution et des droits fondamentaux, sur la loi (écrite par les politiques) et surtout, une affirmation que la légitimité démocratique ne procède pas nécessairement exclusivement du suffrage. Il affirme par exemple que la vraie séparation des pouvoirs, aujourd’hui, n’est pas l’exécutif et le législatif, mais entre les politiques et les juges (entendez les juristes). Il pose aussi de bonnes questions, avec des développements intéressants sur la légitimité de cette montée en puissance du droit et donc des juges, ses éventuelles limites, et sur la régulation de ce pouvoir des juges. Les développements sur le Conseil supérieur de la Magistrature sont particulièrement d’actualité, et posent un débat de fond sur lequel il faudra trouver des solutions pérennes.

Ce livre permet de se rendre compte à quel point l’intégration européenne a été un moteur puissant dans cette évolution, les principales réformes constitutionnelles étant plus ou moins « forcées » même si on ne s’en est pas toujours rendu compte. La construction européenne a d’abord été l’affaire de juristes, et ils ont donc construit un système à leur main, avec une intégration par le droit. Les soubresauts de la construction européenne peuvent ainsi être analysés comme celle d’une lutte entre le juriste et le politique. Il faut reconnaître que les juristes ont une longueur d’avance, et qu’ils se sont dotés, ce livre en est un bel exemple, d’une véritable armature doctrinale pour légitimer leur prise de pouvoir.

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