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24 mars 2025 1 24 /03 /mars /2025 16:03

LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS

Page 518 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 12 - 24 MARS 2025

357

ÉTRANGERS

357 La réforme du droit de l’immigration

par référendum est-elle possible ?

Alors que le président de la République

suggère, implicitement, le

recours au référendum pour revivifier

une démocratie bien mal en point, une

partie de la classe politique et, notamment

le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau,

saisissent la balle au bond pour proposer

qu’un référendum porte sur l’une des questions

au coeur du débat politique, à savoir

l’immigration.

Deux arguments sont invoqués pour faire

obstacle à ce projet : les questions relatives à

l’immigration ne seraient pas de celles sur

lesquelles on peut interroger les français

par la voie du referendum de l’article 11 de

la Constitution et, d’autre part, le Conseil

constitutionnel pourrait contrôler, a priori,

à la fois le respect de ces exigences et la substance

de la question posée.

Ces deux arguments méritent pour le moins

d’être nuancés.

D’une part, l’article 11 de la Constitution

dispose qu’un projet de loi référendaire peut

porter sur des réformes relatives à la politique

sociale de la Nation. Des dispositions

portant, par exemple, sur l’acquisition de la

nationalité ou sur le droit d’asile, peuvent

être considérées comme entrant difficilement

dans ce cadre. En revanche, toutes les dispositions

relatives aux aides sociales attribuées aux

étrangers sont susceptibles d’être soumises à

référendum.

D’autre part, la question est débattue de savoir

si le Conseil constitutionnel pourrait contrôler

la constitutionnalité du projet de loi soumis

à référendum. Une réponse affirmative lui

permettrait alors de faire obstacle à une révision

constitutionnelle engagée selon la procédure

de l’article 11 de la Constitution, mais

aussi à des dispositions législatives ordinaires

qu’il jugerait contraires à la Constitution.

S’agissant du contrôle susceptible d’être exercé

par le Conseil constitutionnel, sur un projet

de loi que le président de la République décide

de soumettre à référendum, la question doit

être examinée de deux points de vue.

Le premier, porte sur le contenu de la disposition

soumise à référendum. Ainsi le Conseil

constitutionnel a, par exemple, dans sa décision

2024-6 RIP (Cons. const., 11 avr. 2024,

n° 2024-6 RIP, proposition de loi visant à

réformer l’accès aux prestations sociales des

étrangers), fait obstacle à l’engagement d’une

procédure de référendum d’initiative partagée

(RIP), pour laquelle son contrôle est prévu

par la Constitution, au motif que la mise en

place de nouvelles conditions à l’attribution

de prestations sociales en faveur des étrangers

contrevenait au principe constitutionnel de

solidarité. Il a également jugé que le principe

de fraternité interdisait de pénaliser l’aide

apportée aux étrangers en situation irrégulière

(Cons. const., 6 juill. 2018, n° 2018-

717/718 QPC : JurisData n° 2018-011995 ;

JCP G 2018, doctr. 876, Étude M. Borgetto).

On pourrait citer d’autres décisions visant à

faire obstacle à toute réforme de fond du droit

de l’immigration, mais ces deux exemples

démontrent la manière dont le Conseil

constitutionnel construit une jurisprudence

très contraignante, au nom d’un état de droit

dont il définit la substance à partir de références

constitutionnelles particulièrement

générales. En effet, la solidarité s’exerce, selon

la Constitution, à l’égard des français (Préambule

de 1946, al. 12) et la fraternité concerne

les rapports avec les peuples d’outre-mer.

Dans ce dernier cas, le Conseil fait également

référence à la devise de la République, mais

il faudrait alors considérer que le principe

d’égalité s’applique aux étrangers en situation

irrégulière comme aux français, ce qui ouvre

des perspectives vertigineuses !

Le second, porte sur la compétence du Conseil

constitutionnel pour contrôler la décision

du président de la République de recourir à

la procédure référendaire et la substance du

texte proposé. À partir de sa décision Hauchemaille

(Cons. const., 25 juill. 2000,

n° 2000-21 REF), et selon un raisonnement

repris dans sa décision 2024-57 ELEC (Cons.

const., 12 sept. 2024, n° 2024-57 ELEC),

le Conseil constitutionnel a rappelé que « il

résulte de l’article 46 de l’ordonnance portant

loi organique du 7 novembre 1958 que

ses attributions ont un caractère consultatif

en ce qui concerne l’organisation des opérations

de référendum », mais que « en vertu

POINTS-CLÉS ➜ L’article 11 de la Constitution permet l’organisation d’un référendum portant

sur les politiques sociales en matière d’immigration Contrairement à ce qui est souvent

soutenu, le Conseil constitutionnel n’est pas juridiquement compétent pour se prononcer sur

la constitutionnalité du texte soumis à référendum

Bertrand Mathieu,

professeur émérite de l’université

Paris1 Panthéon Sorbonne,

ancien Conseiller d’État (S.E.)

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LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS 357

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 12 - 24 MARS 2025 - © LEXISNEXIS SA

de la mission générale de contrôle de la

régularité des opérations référendaires qui

lui est conférée par l’article 60 de la Constitution,

il [lui] appartient(…) de statuer sur

les requêtes mettant en cause la régularité

d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité

qui serait opposée à ces requêtes

risquerait de compromettre gravement l’efficacité

de son contrôle des opérations référendaires,

vicierait le déroulement général

du vote ou porterait atteinte au fonctionnement

normal des pouvoirs publics ». C’est

à partir de cette dernière hypothèse, le risque

d’une atteinte au fonctionnement normal des

pouvoirs, que certains commentateurs, mais

aussi l’ancien président du Conseil constitutionnel,

Laurent Fabius (qui ne peut s’être prononcé

qu’à titre personnel), ont considéré que

le Conseil constitutionnel pourrait contrôler la

constitutionnalité d’un projet de loi soumis à

référendum. Pour résumer, le Conseil n’a pas

de compétence pour juger de la décision du

président de la République de soumettre un

projet de loi à référendum (comme le Conseil

constitutionnel l’avait reconnu en 1962), mais

il récupérerait cette compétence au travers du

contrôle de la régularité formelle du décret de

convocation des électeurs !

Si de nombreux arguments peuvent être opposés

à la constitutionnalité de la révision de

la Constitution par la voie de l’article 11 (c’està-

dire sans intervention du Parlement), la

Constitution n’attribue aucune compétence au

Conseil constitutionnel pour censurer la décision

du président de la République de recourir

au référendum. Trois arguments peuvent être

invoqués à l’appui de cette affirmation.

Premièrement, le Conseil constitutionnel a

une compétence d’attribution. Il ne dispose

pas d’une compétence générale pour veiller

au respect de la Constitution. C’est d’ailleurs

ce que le Conseil rappelle lui-même dans

sa décision 2024-60 ELEC du 12 septembre

2024 : « La compétence du Conseil constitutionnel

est strictement délimitée par la

Constitution. Elle n’est susceptible d’être

précisée et complétée par voie de loi organique

que dans le respect des principes posés

par le texte constitutionnel. Le Conseil

constitutionnel ne saurait être appelé à se

prononcer dans d’autres cas que ceux qui

sont expressément prévus par la Constitution

ou la loi organique ». L’argument selon

pu constituer l’occasion d’établir un contrôle

par le Conseil constitutionnel de la décision

du président de la République de soumettre

un projet de loi à référendum, tel n’a pas été le

cas et des amendements en ce sens ont été rejetés.

Or le débat était déjà posé puisqu’à la fin

de son second mandat, et à l’occasion d’une

interview à la revue Pouvoirs (avril 1988), le

président Mitterrand avait considéré que la

procédure de l’article 11 pourrait être utilisée

pour réviser la Constitution.

Troisièmement, un contrôle du Conseil constitutionnel

est prévu pour les référendums d’initiative

partagée, alors que tel n’est pas le cas

« La Constitution n’attribue aucune

compétence au Conseil constitutionnel

pour censurer la décision du président de la

République de recourir au référendum. »

lequel, à défaut, il n’existerait pas de contrôle

juridictionnel sur la décision du président de

la République est, peut-être, politiquement

recevable, juridiquement il ne l’est pas. En la

matière, l’article 5 de la Constitution fait du

président de la République le garant du respect

de la Constitution (sous le contrôle du

Parlement réuni en Haute-Cour qui pourrait

le destituer en cas de violation grave de la

Constitution).

Deuxièmement, si les différentes réformes

constitutionnelles visant l’article 11 auraient

pour les autres procédures de l’article 11. L’argument

a contrario, s’impose en la matière.

Si le Conseil constitutionnel s’opposait à la tenue

d’un référendum sur la politique de l’immigration,

spécifiquement dans son aspect

social, il réaliserait un véritable « coup d’état

juridictionnel », ouvrant une crise grave dans

ses rapports avec le pouvoir politique.

En réalité, la décision est entre les mains du

gouvernement (qui dispose du pouvoir de

proposition) et du président de la République

(qui détient un pouvoir de décision).

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