Rendons la parole au peuple pour sauver la démocratie
Le Monde.fr | 17.12.2015 à 12h07 • Mis à jour le 17.12.2015 à 12h06
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Par Bertrand Mathieu
La situation politique française, comme celle d’un certain nombre de pays européens, traduit une crise de la démocratie représentative. Les votes pour des partis se situant aux extrêmes de l’échiquier politique, s’ajoutant aux abstentionnistes, sont majoritaires. Les raisons en sont multiples, elles tiennent notamment à la déconnexion entre le choix électoral et les décisions prises qui résultent en fait de contraintes externes, économiques, financières…
Par ailleurs, la démocratie, qui fonctionne dans un cadre national, est concurrencée par des systèmes supranationaux. Or les unes et les autres de ces contraintes n’obéissent pas à une logique démocratique. Les décisions juridictionnelles, nationales ou supranationales, concurrencent le pouvoir politique. Face à cette crise, le recours à la démocratie participative développe les communautarismes et ne permet pas de légitimer les décisions au niveau national. Le jeu, devenu triangulaire, des forces politiques accule les formations politiques traditionnelles à un déni de réalité. L’affrontement entre ceux qui maintiennent la fiction d’une démocratie vivante et ceux qui laissent croire que l’on pourrait, par une simple volonté politique, échapper aux contraintes externes est stérile. Il menace nos systèmes démocratiques qui sont plus fragiles que l’on peut le penser.
Revivifier la démocratie c’est revenir à son sens premier, rendre la parole au peuple. Au-delà de la formule, il existe dans la Constitution un instrument pertinent : le référendum. Craint, du fait que le peuple ne répond pas toujours à la question posée, galvaudé par une utilisation opportuniste, le référendum reste un outil majeur de la démocratie. On dénonce le risque de dérive plébiscitaire, pourtant quoi de plus démocratique pour un responsable politique que d’engager, en cours de mandat, sa responsabilité devant le peuple qui l’a élu. On invoque le risque de dérive populiste, mais priver le peuple de la faculté de s’exprimer ne peut que favoriser les partis populistes.
Plusieurs pistes à explorer
Il est vrai que dans notre système juridique le principe démocratique est tempéré par un principe libéral de séparation des pouvoirs et de garantie des droits. La question se pose alors de trouver un mécanisme qui permette de redonner la parole au Peuple tout en évitant que ne soit remise en cause cette démocratie tempérée qui est le modèle de nos sociétés occidentales.
Plusieurs pistes peuvent être explorées. D’abord redonner la parole au peuple sur des questions importantes, parmi lesquelles ces « questions de société », dont justement le Conseil constitutionnel estime qu’elles sont tellement politiques qu’il n’en contrôle pas la constitutionnalité. Mais aussi éviter que par la voie référendaire ne soient opérées des violations de droits et libertés, fondamentaux au sens strict du terme
Une méthode simple s’impose : soumettre les projets (ou les propositions) de loi référendaire au Conseil constitutionnel préalablement à leur vote par le peuple, le juge constitutionnel pouvant apprécier, tant la clarté du texte, voire de la question, que sa conformité aux dispositions substantielles de la Constitution.
Il ne faut pas se cacher que cette procédure interdirait au président de la République de réviser la Constitution en en appelant directement au peuple sans vote préalable des Assemblées parlementaires. Concernant l’Assemblée nationale, le président pourrait toujours prononcer une dissolution suivie d’élections dont l’un des enjeux serait la révision constitutionnelle. Cette possibilité n’existe pas pour le Sénat, ainsi le Sénat pourrait s’opposer à lui seul à une révision constitutionnelle, ce qui présente l’avantage d’éviter toute révision ne faisant pas l’objet d’un consensus minimum, mais donne au Sénat un pouvoir considérable et empêcherait incidemment toute révision conduisant à modifier le rôle du Sénat. Reste à savoir si cet inconvénient est dirimant au regard de l’intérêt politique que représenterait une telle novation.
Il n’en reste pas moins qu’interroger directement le peuple par la voie référendaire ne peut être une procédure banale, la Suisse reste de ce point de vue une exception justifiée tant par ses traditions que par sa dimension. Plus généralement, le référendum d’initiative populaire doit être entouré de garanties et de conditions qui en rendent l’usage peu commode. La première condition à laquelle doit répondre le référendum, c’est la clarté de la question posée, la seconde tient au fait que la volonté exprimée par le peuple devra être respectée.
Le récent référendum grec sur le plan d’austérité traduit de ce point de vue l’impuissance démocratique, plus qu’il n’en constitue l’expression. Enfin, le principal obstacle au recours au référendum, c’est la crainte de l’auteur de la question, le président de la République, d’être désavoué, par une expression populaire qui traduira plus un jugement sur sa politique qu’une réponse à la question posée. De ce point de vue, plusieurs pistes de réflexion doivent être suivies. D’abord, le référendum permettrait à un président nouvellement élu de s’engager sur quelques points forts de son programme et d’instaurer ainsi un climat de confiance qui constitue un soutien autant qu’une obligation. Si en cours de mandat, et a fortiori, en fin de mandat, le recours au référendum est plus risqué, sauf à constituer une manœuvre opportuniste, il peut répondre à la demande de responsabilité que traduit son appropriation plébiscitaire par le peuple. Encore faudrait-il que le courage politique et le sens de l’intérêt général surmontent les intérêts personnels et les combinaisons. Mais de ce point de vue la Constitution ne peut rien, c’est la qualité des responsables politiques qui fait tout.
S’agissant de la révision de la Constitution, il conviendrait également d’associer le peuple à toutes les révisions importantes.
On ne trouvera là qu’une réflexion à peine ébauchée qui mériterait débat. Elle n’en répond pas moins à la nécessité de rendre la parole au peuple, ce qui dans un système qui se veut démocratique n’est pas si archaïque que veulent bien le penser ceux qui sont, de fait, attachés à un système oligarchique et qui exercent, à ce titre, le pouvoir intellectuel ou politique. Faute de quoi, le peuple risque de reprendre une parcelle du pouvoir qui lui est dénié dans des conditions qui peuvent conduire à tous les débordements.
Bertrand Mathieu est professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris I. Il est ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature
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