Les assistants parlementaires, instruments de l’autonomie parlementaire
La mise en cause de François Fillon par les médias et par une enquête préliminaire du parquet national financier, à propos de l’emploi de son épouse comme assistant parlementaire constitue une ingérence dans la campagne présidentielle, dont bien des conséquences devront être appréciées sur le plan constitutionnel, quel que soit le résultat de ce rocambolesque feuilleton.
Elle a, notamment, braqué un projecteur sur la fonction, méconnue, des assistants parlementaires. Mais, au-delà, elle conduit à s’interroger sur le respect du principe constitutionnel d’autonomie des assemblées parlementaires.
Le système français des assistants parlementaires répond à deux exigences. Il vise à donner au parlementaire les moyens d’exercer son mandat. Il traduit la liberté dont le parlementaire doit bénéficier dans l’exercice de ce mandat. C’est pour respecter cette liberté que les assemblées attribuent à chaque parlementaire une enveloppe financière dont il use librement pour recruter les assistants dont il estime avoir besoin. Condition de son indépendance, le libre choix de ses assistants par le parlementaire renvoie tant au principe représentatif qu’à celui de la séparation des pouvoirs.
Les missions de ces assistants ne sont pas définies. Cette absence de cadre juridique précis ne constitue pas une lacune juridique, elle répond à l’exigence de liberté d’organisation du travail du parlementaire. L’expérience montre que ces fonctions sont multiformes. Il peut s’agir d’assister le parlementaire dans sa fonction législative par un travail juridique approfondi, de l’assister dans sa fonction politique, notamment par une mission de conseil, d’établir des liens avec les pouvoirs publics, les administrations, les électeurs, les associations… il peut s’agir également d’assister le parlementaire dans sa vie quotidienne (gestion de l’agenda, secrétariat, rédaction de courriers, aide à la rédaction de discours…). Véritables « couteaux suisses » du parlementaire, ses assistants répondent à ses besoins. L’assistant de tel député dont l’enracinement local constitue le cœur de métier n’aura pas le même profil que l’assistant du parlementaire qui centre son action sur l’action politique nationale, l’assistant basé à Paris que celui qui reste présent dans la circonscription. Le choix de la personne adéquate appartient au parlementaire. On peut comprendre qu’il choisisse pour les fonctions les plus proches … des proches. Le lien de confiance et de proximité présente de ce point de vue une importance toute particulière. Tout cela démontre qu’il est impossible de définir le poste de travail d’un assistant et que cette situation renvoie à une exigence constitutionnelle : celle de l’autonomie des assemblées parlementaires.
Ce principe a été reconnu par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision 2013-676 DC. C’est l’une des traductions du principe fondamental inscrit dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel la séparation des pouvoirs est la condition d’une Constitution digne de ce nom.
De ce point de vue, l’immixtion d’un tiers dans la relation entre le parlementaire et ses assistants met en cause l’indépendance du parlementaire, condition du respect du principe de séparation des pouvoirs. Il en est ainsi s’agissant d’une exigence faussée de transparence qui tendrait à « normaliser » la fonction d’assistant parlementaire en privant le parlementaire de sa liberté. Il en est également ainsi de la justice. La séparation des pouvoirs protège le parlementaire, comme elle protège le juge, non pas à l’encontre du respect de la loi mais pour leur permettre d’exercer en toute indépendance leur fonction constitutionnelle. C’est pourquoi de la même manière que la Constitution proclame et protège l’indépendance des magistrats, elle accorde aux parlementaires, non pas une garantie d’impunité, mais des garanties procédurales et une inviolabilité pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. Or le choix d’un assistant parlementaire entretient nécessairement un lien étroit avec l’exercice de ces fonctions. En fait la protection du parlementaire comme celle du juge, vise non pas sa personne mais la mission qu’il remplit au service des citoyens, comme le démontre le lien que la Constitution établit entre la séparation des pouvoirs et la garantie des droits.
De ce point de vue, le débat, juridiquement dépourvu de réel fondement, qui s’est engagé à propos de l’emploi par François Fillon de membres de sa famille masque une vraie question. Celle de savoir si l’efficacité du travail parlementaire n’exigerait pas de permettre aux parlementaires, probablement moins nombreux, d’être assisté d’un véritable cabinet, comme c’est le cas, par exemple aux Etats-Unis, afin de renforcer la fonction devenue essentielle pour un parlement moderne qui est d’abord celle de contrôle, notamment de l’action gouvernementale. Probablement la sensibilité de l’époque, prompte à préférer le moralisme à l’efficacité, pourrait conduire à établir un statut de l’assistant parlementaire. Cette réforme devrait être précédée d’une réflexion sur la fonction parlementaire et les conditions de son indépendance et de son efficacité. Il conviendra cependant de veiller à ce que cette transparence ne s’opère pas au détriment de ces exigences, propres à une démocratie libérale.
Bertrand MATHIEU
Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne –Université paris 1