Selon le juriste Bertrand Mathieu, les fondements même de la protection de l’embryon sont remis en cause.
Pour Mgr d’Ornellas, « le droit coupé du réel ne respecte pas l’être humain »
Une pétition pour bloquer la recherche sur l’embryon en Europe
L’évolution de la législation de la recherche sur l’embryon
Le texte de la proposition de loi autorisant la recherche sur l'embryon (juillet 2013)
La modification de la législation va-t-elle entraîner une multiplication des recherches sur l’embryon ?
À l’heure actuelle, la recherche sur l’embryon n’est pas autorisée en tant que telle. Depuis 2004, en effet, prévaut un régime d’interdiction avec dérogations accordées par l’Agence de biomédecine (ABM). Selon son rapport de 2011, l’ABM a accordé 173 autorisations depuis septembre 2004. La proposition de loi vise à autoriser la recherche sur l’embryon de manière encadrée.
La recherche sur ces cellules, issues d’embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental et qui nécessitent leur destruction, sera autorisée sous quatre conditions : le projet devra être « scientifiquement pertinent », il devra avoir « une finalité médicale », « ne pouvoir être conduit qu’avec des embryons humains » et, enfin, « respecter les garanties éthiques ». L’Agence de biomédecine continuera d’effectuer des contrôles.
Le gouvernement soutient ce texte. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, explique que son vote permettrait à la France de rattraper son retard, lié notamment, selon elle, à des procédures en justice intentées par la Fondation Jérôme-Lejeune contre une dizaine de décisions d’autorisation. Surtout, les grands laboratoires pharmaceutiques (Sanofi, Pfizer) souhaiteraient disposer de cellules souches embryonnaires en grand nombre pour mettre au point ou tester des médicaments. Il est donc possible que ce changement de loi entraîne une multiplication des recherches sur l’embryon.
Ne risque-t-on pas d’utiliser l’embryon pour des applications non médicales ?
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale, les députés précisent bien qu’il s’agit de « médecine régénératrice » : « Ce sont les thérapies cellulaires qui visent à remplacer des cellules déficientes ou insuffisamment nombreuses par des greffes de cellules.
Ces recherches ouvrent la voie au traitement d’affections graves et souvent incurables aujourd’hui : maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques), cardiopathies, hépatites, diabète insulino-dépendant, lésions de la moelle épinière. » Cela exclut donc, a priori, toute application autre que strictement thérapeutique, notamment dans les domaines de la cosmétique, la parapharmacie ou la biotechnologie autre que médicale.
Le fait d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires va-t-il décourager les recherches alternatives ?
Les alternatives à la recherche sur les cellules embryonnaires humaines portent essentiellement sur les cellules souches adultes (y compris les cellules souches de cordon ombilical) et les cellules souches pluripotentes induites, dites iPS. Peu nombreuses et cantonnées dans certaines « niches » du corps humain, les cellules souches adultes sont moins pluripotentes que celles constituant l’embryon et ne peuvent produire que des cellules propres à leur tissu.
Ce sont par exemple les cellules hématopoïétiques, qui régénèrent les cellules du sang, et certaines cellules de la peau, de l’intestin ou du cerveau. D’une manière générale, elles sont difficiles à cultiver in vitro et ont tendance à développer des tumeurs. Dernièrement, toutefois, des progrès ont été réalisés dans la maîtrise de ces cellules souches adultes.
En France, il existe quelques équipes universitaires, Inserm ou CNRS, travaillant, au moins en partie, avec des cellules souches adultes et surtout des cellules iPS, qui sont les seules ne posant pas de problèmes éthiques analogues à ceux que l’on rencontre en expérimentant sur des cellules souches embryonnaires. À première vue, il n’y a pas de raison pour que ces équipes abandonnent leurs travaux.
La loi modifie-t-elle le statut juridique de l’embryon ?
La loi française ne fixe pas à proprement parler un « statut juridique » de l’embryon, mais elle lui garantit une protection par une série de textes législatifs. Ainsi, l’article 16 du code civil stipule que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». La Convention européenne sur les droits humains en matière de biomédecine, ratifiée par la France en 2011, protège, elle, « l’être humain dans sa dignité ».
« La loi de 2011, en posant le principe de l’interdiction sauf dérogation, est cohérente avec cet ensemble juridique », juge Bertrand Mathieu, professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel.« L’embryon n’est pas considéré comme une personne mais il est protégé au titre du principe de la dignité humaine. » Selon le juriste, en abandonnant le système d’interdiction au profit de celui d’autorisation, la législation en abandonne en même temps le fondement qu’est la dignité.« C’est une rupture fondamentale, explique-t-il. L’embryon continue de jouir d’une protection, puisque la recherche reste soumise à autorisation, mais la logique qui sous-tend sa protection s’effondre. Et la cohérence du droit est mise à mal », considère Bertrand Mathieu.