TRIBUNE - Trois membres du CSM*, Pierre Fauchon, Jean-Pierre Machelon et Bertrand Mathieu, émettent des réserves sur le projet de loi constitutionnelle visant à renforcer l'indépendance de cette instance, actuellement en discussion au Parlement.
Les offres d'emploiLes opportunités en Bourgogne
La PhytothérapieDossier FigaroPartner
Abandonnant un projet de révision constitutionnelle de plus grande ampleur, le président de la République a décidé de ne soumettre au Parlement qu'un texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui, sous sa forme actuelle, n'a que deux années d'existence. Cette priorité et cette urgence ne manquent pas de surprendre si l'on examine le contenu de la réforme envisagée.
Sont essentiellement en cause la composition du Conseil et le mode de nomination de ses membres. Conformément à une sage conception qui veut que le renforcement nécessaire de l'indépendance des magistrats ne passe pas par une autogestion syndicale de la magistrature, le CSM est aujourd'hui composé d'une très légère majorité de personnalités extérieures au corps judiciaire. Les députés ont corrigé la copie gouvernementale en ce qu'elle prévoyait, au risque du corporatisme et d'un poids excessif des syndicats, de rétablir au sein du Conseil un équilibre majoritairement favorable aux magistrats. Ils ont prévu une parité. On peine à mesurer la nécessité de réunir le Congrès pour opérer un tel changement, qui au surplus ne se justifie nullement. Des esprits mal intentionnés pourraient soupçonner une manœuvre visant à remplacer l'actuel Conseil supérieur de la magistrature avant d'importantes nominations sur lesquelles il devra se prononcer à partir du printemps 2014. La commission des lois du Sénat est par ailleurs revenue sur la désignation des membres extérieurs, confiée dans le projet à un collège de personnalités selon un processus relevant plus de l'oligarchie que de la démocratie. La nomination par les plus hauts responsables de l'État (président de la République et présidents des Assemblées), après confirmation par les commissions parlementaires, sauf majorité opposée des trois cinquièmes, a fait ses preuves. Les autorités de nomination portent la responsabilité de leurs choix et l'audition parlementaire garantit contre des nominations inadaptées.
Faut-il aller plus loin? L'idée, actuellement en faveur dans les Assemblées, de faire valider les nominations par les commissions parlementaires à une majorité des trois cinquièmes est une fausse bonne idée qui pourrait conduire à des résultats désastreux. L'expérience, parmi d'autres, du Tribunal constitutionnel espagnol ne plaide pas en faveur d'une telle procédure, si séduisante qu'elle puisse paraître au premier abord. La nomination de plusieurs de ses membres par une majorité parlementaire s'est heurtée à deux reprises à une situation de blocage, en 2007 et en 2010. Le renouvellement n'a pu avoir lieu que quatre et deux ans après le terme de leur mandat. In fine, les partis politiques se sont répartis les postes, manifestant une très visible politisation de l'institution, qui a ainsi perdu sa réputation d'impartialité et une partie de son crédit dans l'opinion publique.
Des esprits mal intentionnés pourraient soupçonner une manœuvre visant à remplacer l'actuel Conseil supérieur de la magistrature avant d'importantes nominations sur lesquelles il devra se prononcer à partir du printemps 2014
Il est vrai que la réforme actuellement en discussion présente quelques avancées. Notamment, elle inscrit dans la Constitution la décision prise par les présidents Sarkozy et Hollande de respecter les avis du Conseil supérieur de la magistrature portant sur la nomination des magistrats du parquet. Elle étend également la fonction consultative du Conseil. De ce point de vue, cette réforme n'est pas contestable. Elle est cependant tout à fait insuffisante. L'une des questions essentielles concerne la maîtrise de la carrière des magistrats du siège. Pour la plupart d'entre eux, le ministre de la justice décide et le CSM ne joue qu'un rôle marginal. L'attribution à son profit du pouvoir de proposition constituerait un véritable progrès dans le sens d'un renforcement de la séparation des pouvoirs.
D'autres questions pourraient être mises sur la table afin de renforcer réellement les garanties de l'indépendance des magistrats en écartant, le plus qu'il est possible, les risques de politisation et de corporatisme qui sont les deux fléaux d'une justice indépendante.
Dangereuse s'agissant des dispositions relatives à la composition du Conseil supérieur de la magistrature et à la nomination de ses membres, très insuffisante s'agissant des questions qui concernent sa compétence, la réforme en discussion pourrait ouvrir la voie à d'autres réformes, celles-ci inscrites dans une loi organique, donc nécessitant le soutien d'une plus faible majorité.
Il pourrait en être ainsi de la suppression de la représentation propre des chefs de juridiction et de cour d'appel au sein du CSM. Leur rôle est pourtant fondamental pour le bon fonctionnement des juridictions, dont la fonction première est d'être au service des justiciables. L'absence d'engagement et de transparence du gouvernement à cet égard est très inquiétante.
C'est en se fondant sur l'expérience qui est la nôtre depuis plus de deux ans que nous exprimons de très vives réserves sur la réforme telle qu'en l'état. Trop tôt, trop mal, trop peu.