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27 août 2016 6 27 /08 /août /2016 16:49

« Burkini » : le Conseil d’Etat s’en est tenu à la loi

LE MONDE | 27.08.2016 à 08h21 • Mis à jour le 27.08.2016 à 10h58 |Par Bertrand Mathieu (Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris I et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature)

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image: http://s2.lemde.fr/image/2016/08/27/534x0/4988730_6_9bc6_2016-08-26-17140cf-66861e00ea6f4c90b60ee3e90e607_16ec47440b15129cff61b239b6154668.jpg

Par Bertrand Mathieu, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris-I et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature

Le Conseil d’Etat se prononçant en référé invalide, dans leur principe, les arrêtés municipaux visant à proscrire l’usage du maillot de bain intégral dit « burkini » sur les plages. Au fond, la question posée est celle des limites qui peuvent être apportées à la liberté personnelle – notamment de se vêtir – à la liberté d’exprimer ses convictions en public et à la liberté de circulation, au nom d’exigences relevant de l’ordre public. Comme l’a relevé le premier ministre et comme le prend en compte la décision attaquée du tribunal administratif de Nice validant de tels arrêtés, l’ordre public en cause relève d’une double nature.

Il s’agit d’abord de l’ordre public classique, l’ordre public matériel, qui vise à mettre fin ou à prévenir des troubles (altercations, scandales…), dans un contexte déterminé, et d’un ordre public « immatériel » qui renvoie à la défense de certaines valeurs.

En l’espèce ces deux considérations étaient imbriquées. Il s’agissait à la fois d’éviter des conflits susceptibles d’opposer différentes catégories de baigneurs, dans le contexte des attentats islamistes, et par ailleurs de faire obstacle à ce qui a pu être considéré comme une manifestation, voire une provocation de fondamentalisme islamique, une revendication identitaire visant à se séparer de la communauté nationale, et une atteinte aux valeurs relatives à la place des femmes dans la société.

La complexité de la question tient au fait qu’elle mêle des enjeux politiques essentiels, tenant à la place de l’islam dans la société et au choix entre une conception communautariste ou identitaire de la nation, et des enjeux juridiques. De ce dernier point de vue, le principe de non-discrimination contraignait les maires à « habiller » des mesures à visées spécifiques (tenue islamiste) en mesures de portée générale (des tenues présentant un caractère religieux ostentatoire) et à mettre l’accent sur des menaces à l’ordre public matériel (lié à des circonstances particulières de temps et de lieux) sans pouvoir, faute de compétence, prendre position sur les exigences de l’ordre public immatériel.

C’est ainsi une situation assez confuse, tant sur le plan politique que sur le plan juridique, qui est soumise au juge administratif, ce dernier étant conduit à traiter sur un plan strictement juridique – tout du moins en apparence – des questions qui relèvent d’abord et essentiellement d’un choix politique.

C’EST EN SE FONDANT SUR UNE CONCEPTION RESTRICTIVE DE LA COMPÉTENCE DES MAIRES À LIMITER L’EXERCICE DE LIBERTÉS FONDAMENTALES QUE LE CONSEIL D’ETAT, DANS SON ARRÊT DU 26 AOÛT 2016, ANNULE L’ORDONNANCE DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NICE

C’est en se fondant sur une conception restrictive de la compétence des maires à limiter l’exercice de libertés fondamentales que le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 26 août 2016, annule l’ordonnance du tribunal administratif de Nice rejetant les recours contre l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet et suspend l’exécution de ce dernier.

Il juge en effet qu’un maire ne peut réglementer l’accès à la plage et la pratique des baignades que par l’édiction de mesures « adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu… ». Il ajoute qu’« il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations… ». La compétence des maires est ainsi bornée à la seule protection de l’ordre public matériel.

Dignité humaine

Or, dans sa décision du 27 octobre 1995 (commune de Morsang-sur-Orge), relative à un arrêté municipal prohibant un spectacle dit de « lancer de nain », le Conseil d’Etat avait jugé qu’alors que « cette attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine (…). L’autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l’interdire même en l’absence de circonstances locales et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération ».

De même, dans sa décision « Dieudonné » (ordonnance du 9 janvier 2014), le Conseil d’Etat avait validé l’interdiction d’un spectacle en jugeant qu’il existait un « risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine (…). Qu’ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l’ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l’Etat de veiller, le préfet (…) n’a pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative, d’illégalité grave et manifeste ».

Proportionnalité

Dans la présente décision, le Conseil d’Etat se garde prudemment d’entrer dans un débat sur le point de savoir si le port du burkini porte atteinte aux « valeurs et principes consacrés par la tradition républicaine », c’est-à-dire à l’ordre public immatériel. Il limite les pouvoirs des autorités municipales à la protection de l’ordre public matériel et juge selon un contrôle classique de proportionnalité que les mesures prises ne sont pas proportionnées aux risques invoqués – émotion et inquiétude résultant des attentats terroristes.

Lire aussi : L’ordonnance du 26 août sur le « burkini » ne règle rien

Le dernier mot ne saurait en tout cas rester au juge. C’est au législateur qu’il appartient, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de trancher cette question. C’est en effet à lui, en tant qu’il exprime la volonté générale, de dire, comme il l’a fait pour le voile intégral, si le port de certaines tenues est, au regard de la situation actuelle, contraire aux valeurs nationales. La difficulté n’est pas moindre.

En effet, si ce dernier édicte des mesures précises et spécifiques (par exemple l’interdiction du burkini), son action risque d’être vaine face à d’autres formes de provocation qu’il n’aura pas envisagées. S’il procède par voie de dispositions générales concernant un comportement qui vise à s’identifier à une communauté, en manifestant le rejet de l’appartenance à la communauté nationale, le champ d’interprétation laissé aux autorités administratives, notamment municipales, et au juge peut présenter des risques pour les libertés. Il reviendra également au Conseil constitutionnel d’adapter son contrôle aux exigences spécifiques tenant à l’ordre public tant matériel, qu’immatériel, sauf à ce que le Constituant tranche in fine la question.

Bertrand Mathieu (Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris I et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature)

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En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/08/27/burkini-le-conseil-d-etat-s-en-est-tenu-a-la-loi_4988731_3232.html#y4LggWpF1sT1JEpp.99

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7 août 2016 7 07 /08 /août /2016 21:20
  1. opinions

La rétention administrative des « fichés S » est légitime

Face au terrorisme, déroger à certaines libertés est justifié, estime le professeur de droit constitutionnel à l’École de droit de la Sorbonne-université Paris-I*.

Les attentats islamistes constituent, comme le reconnaissent nos gouvernants, des actes de guerre. Qui dit guerre, dit droit spécifique. Droit d’exception pour une situation exceptionnelle. Il convient alors de déterminer ce à quoi notre droit peut déroger et ce à quoi il ne doit pas déroger. La dignité de la personne humaine interdit que la mort soit prononcée en tant que sanction (mais non comme acte de légitime défense) ou que la torture soit légalisée. Il n’en est pas ainsi de la liberté d’aller et de venir, qui n’est pas sans limites. Certes, l’exceptionnel peut s’installer et menacer durablement nos libertés, mais le maintien de l’absolue primauté des droits individuels est mortifère. Placer des personnes soupçonnées en rétention administrative ou les assigner à résidence, expulser les étrangers condamnés ou suspectés sont des mesures qui s’imposent sous réserve de prévoir garanties et contrôles juridictionnels afin d’éviter l’arbitraire.

Certes, à ce jour, la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit une assignation à résidence ou une rétention administrative de simples suspects pendant une durée assez longue. Mais la jurisprudence du Conseil peut évoluer. Lorsqu’il examine la constitutionnalité d’une loi, le juge constitutionnel se livre à un contrôle de proportionnalité entre, notamment, les atteintes portées à la liberté individuelle et la protection de la sécurité nationale, dont il estime à juste titre qu’elle constitue elle-même une condition de la protection des droits et libertés individuels. Tout est alors une question de curseur.

Dans le passé, le Conseil constitutionnel a admis la rétention de sûreté au-delà de l’exécution de la peine pour les auteurs de crimes particulièrement graves (décision 2008-562 DC). C’est alors la dangerosité de l’individu qui est prise en compte et non sa punition. Le juge constitutionnel a aussi admis l’hospitalisation d’office de personnes dont la dangerosité résulte de l’altération de leur faculté mentale. En outre, le Conseil constitutionnel prend en compte le changement de circonstances. La conciliation entre la protection des libertés individuelles et les intérêts fondamentaux de la société ne peut être mesurée au même trébuchet en période de paix et de guerre. Comme le relevait le Conseil d’État dans l’arrêt Dames Dol et Laurent du 28 février 1919, « les limites des pouvoirs de police… ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre… il appartient au juge de tenir compte dans son appréciation des nécessités provenant de l’état de guerre ». Il est de ce point de vue inutile de jouer sur les mots, et cette guerre moderne menée par des mouvements islamistes s’embarrasse peu de nos catégories juridiques. C’est au législateur de prendre ses responsabilités et au juge de faire évoluer les critères de son appréciation. Si le Conseil constitutionnel ne faisait pas évaluer sa jurisprudence, il appartiendrait alors, et seulement alors, au Constituant de se prononcer, le cas échéant par la voie du référendum.

*Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Vice-président de l’Association internationale de droit constitutionnel.

BERTRAND MATHIEU

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27 juillet 2016 3 27 /07 /juillet /2016 16:02

Les attentats islamistes constituent, comme le reconnaissent enfin nos gouvernants, des actes de guerre. Guerre contre notre civilisation d'essence chrétienne (ce qui est un fait et non un jugement de valeur) par des barbares, certes, on peut disserter sur le point de savoir si c'est une guerre de civilisation ou une guerre contre la civilisation. J'aurais pour ma part tendance à penser que c'est une guerre de civilisation menée par des barbares, mais ce point de vue est, je le reconnais, assez sommaire. Dans ce contexte, le discours sur le maintien de nos principes et de l'Etat de droit est manifestement insuffisant. Qui dit guerre, dit droit spécifique. L'état d'urgence ne peut être permanent mais un droit spécifique doit être mis en place tant que cette situation demeure. Droit d'exception pour une situation exceptionnelle. Il convient alors de réfléchir pour déterminer ce à quoi notre droit peut déroger (ou d'appliquer des dispositions pénales relatives à la situation de guerre, à la trahison...). La dignité d ela personne humaine est indéréglable, l'interdiction de la mort comme sanction doit être maintenue (mais non comme acte de légitime défense), la torture ne peut en elle même être autorisée. Il n'en est certes pas ainsi de la liberté d'aller et de venir ou de la liberté d'expression, qui ne sont pas des libertés absolues. Certes l'exceptionnel peut s'installer et menacer durablement nos libertés, je mesure le risque. Mais le maintien de l'absolue prévalence des droits individuels est mortifère. Au risque de me tromper, je ne crois pas que le maintien absolu de nos principes (conçus pour l'état de paix) nous préserve, au contraire, je pense qu'il nous affaiblit. Placer des personnes soupçonnées en rétention administrative, expulser les étrangers condamnés ou suspectés, contrôler l'immigration... autant de mesures qui s'imposent, avec bien sûr des contrôles juridictionnels a posteriori. Au delà du danger que représentent les islamistes, qui trouvent dans l'abandon de nos banlieues et dans le communautarisme, un terrain favorable, l'autre risque est que le Peuple se révolte contre un pouvoir qui ne sait pas le protéger (ce qui est sa mission essentielle) et finalement en appelle à un pouvoir vraiment autoritaire qui sacrifiera les droits et les libertés de manière bien plus violente. Nous juristes, intellectuels... nous ne pouvons pas nous contenter de l'incantation simpliste du maintien de l'Etat de droit et des libertés individuelles.

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14 avril 2016 4 14 /04 /avril /2016 06:09

« Le referendum, ultime avatar de l'idée démocratique ? », par Bertrand Mathieu : http://parolesdactu.canalblog.com/archives/2016/04/13/33660559.html

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7 avril 2016 4 07 /04 /avril /2016 10:25
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24 février 2016 3 24 /02 /février /2016 08:29
Censure...
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2 février 2016 2 02 /02 /février /2016 09:32

Machine à décider

Titanic juridique en vue ? Le Conseil constitutionnel confronté à l'explosion des saisines (mais pas de ses moyens...)

Avec Bertrand Mathieu

02/02/2016 - 07:01

Confronté à une explosion des saisines depuis plusieurs années, le Conseil constitutionnel est aujourd'hui face à un tournant. Si elle n'a plus forcément les moyens d'assurer sereinement ses missions, cette institution pourrait bien avoir à se réformer pour s'adapter aux évolutions de la société.

Atlantico : Institution créée en 1958, le Conseil constitutionnel a-t-il toujours les moyens de remplir ses missions aujourd'hui ? Depuis le 1er mars 2010, 465 questions prioritaires de constitutionnalité lui ont été adressées, lui qui ne compte que 9 membres. L'instance a fréquemment recours à des conseils extérieurs pour rendre ses décisions. Quelles conséquences cela peut-il avoir selon vous, notamment en termes d'influence politique ?

Bertrand Mathieu : En 1958, le Conseil constitutionnel a essentiellement vocation à être le "chien de garde du gouvernement". Plus précisément, il a pour mission de protéger le domaine règlementaire réservé au gouvernement des empiètements du législateur. Trois étapes vont marquer la transformation de l’institution. La première date de 1971, elle résulte d’une volonté "d’émancipation" de l’institution. A l’encontre de la volonté des rédacteurs de la Constitution de 1958 et alors que son fondateur le Général de Gaulle a disparu, le Conseil décide de contrôler le respect par la loi des droits fondamentaux auxquels le Préambule de la Constitution fait référence par renvoi à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui énumère les grandes libertés individuelles et au Préambule de la Constitution de 1946, qui contient essentiellement des droits sociaux. Le Conseil se dote des moyens d’assurer un réel contrôle de la constitutionnalité des lois, mais il lui manque le levier qui lui permettra d’exercer ce contrôle. C’est chose faite à la suite de la révision constitutionnelle de 1974 initiée par le Président Giscard d’Estaing qui étend à l’opposition politique (soixante députés ou soixante sénateurs), la faculté de saisir le Conseil constitutionnel d’une loi entre son vote par le Parlement et sa promulgation par le président de la République. Ainsi, toutes les lois importantes font en principe l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel avant d’entrer en vigueur. La troisième étape est franchie à la suite de la révision de 2008 décidée par le Président Sarkozy qui permet à tout justiciable de soulever devant n’importe quel juge à l’occasion de tout litige dans lequel il est partie, l’inconstitutionnalité de la loi qui lui est appliquée.

Après un filtrage de cette question, dite prioritaire de constitutionnalité (QPC), par les juridictions judiciaires et administratives, le Conseil est appelé à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi. C’est ainsi qu’il a été appelé à se prononcer récemment sur l’état d’urgence, sur le statut des véhicules de tourisme avec chauffeurs, sur la loi Gayssot (incriminant le négationnisme) pour ne citer que quelques exemples. Ainsi, les justiciables, leurs conseils, les juges, sont conduits à se référer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On mesurera le chemin parcouru en relevant que le Conseil a rendu sa 500ème décision sur saisine politique, a priori, près de 30 ans après la réforme de 1974 et la 500ème décision QPC, près de cinq ans après la mise en œuvre de cette nouvelle procédure. De la confortable "maison de retraite" parfois dénoncée au début de la cinquième République, le Conseil constitutionnel est devenu une juridiction particulièrement active qui, en surplomb du Parlement, peut être amenée à contrôler l’ensemble de la législation française. Par ailleurs, la QPC a conduit à déplacer le débat social et économique du Parlement au juge constitutionnel. Plus exactement, le "lobbying" qui s’exerce traditionnellement auprès des parlementaires se poursuit auprès du Conseil constitutionnel. Cette situation n’est pas, en elle-même, condamnable. En effet, elle permet au juge constitutionnel d’être éclairé sur les enjeux sociaux et économiques de certaines de ses décisions. Le caractère contradictoire de la procédure existe à partir du moment ou le Conseil décide de retenir l’un des arguments invoqués dans ce cadre. Mais probablement faudrait-il réfléchir à la mise en place d’une procédure plus contradictoire. La possibilité pour toute personne, physique ou morale, intéressée d’intervenir dans une procédure de QPC constitue de ce point de vue une avancée.

La charge s’est donc considérablement alourdie et le Conseil constitutionnel est une toute petite structure comparée à ses homologues étrangers ou au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation : neuf membres dépourvus d’assistants et un service juridique de quelques membres sous l’autorité d’un Secrétaire général qui joue un rôle particulièrement important. L’avantage réside dans la sécurité juridique que représente la continuité et la cohérence de la jurisprudence, l’inconvénient, c’est la centralisation de la décision et, sûrement, l’inégale compétence juridique des membres du Conseil.

De même, quels problèmes pose le processus de nomination de ses membres ? Comment ce processus a-t-il évolué, notamment au regard des personnalités choisies pour y siéger ?

S’agissant de la nomination des membres, deux questions sont régulièrement soulevées : la présence, à vie, des anciens présidents de la République et la procédure de nomination des autres membres. S’agissant des anciens présidents de la République, il existe un certain consensus pour estimer qu’au regard de ce qu’est devenu le Conseil, ils n’y ont plus réellement leur place. Ce n’est pas actuellement un vrai problème, ce pourrait le devenir dans l’hypothèse de l’élection de présidents de la République de plus en plus jeunes, pour un mandat de plus en plus court et bénéficiant de l’allongement de la durée de la vie…

Les autres membres sont nommés pour trois d’entre eux par le Président de la République, pour trois d’entre eux par le Président de l’Assemblée nationale et pour trois d’entre eux par le Président du Sénat, les commissions parlementaires pouvant s’opposer, par une majorité qualifiée, à leur nomination. Ils sont renouvelés par tiers tous les trois ans. Ce mode de nomination peut donner l’impression d’une politisation de l’institution. Faut-il en changer ? Je n’en suis pas convaincu. L’autre système, c’est une nomination directe ou indirecte par le Parlement. Elle est tout aussi politique et peut conduire, soit à des blocages, comme en Espagne où les partis ne se sont pas mis d’accord pour certaines nominations, soit à des tractations qui n’assureront pas nécessairement le choix des meilleurs. En réalité, la véritable question est celle du choix des personnalités. Etre juge de la loi, ce n’est pas juger d’un contrat de location de voiture ou d’un arrêté municipal, c’est juger un acte résultant du vote des représentants de la Nation. En ce sens, un équilibre entre des juristes et des personnalités ayant eu une expérience politique importante mais retirés de la vie politique réalise un bon compromis.

Dans de nombreux pays, les professeurs de droit et les juges professionnels forment l’essentiel des juridictions constitutionnels. On pourrait par exemple prévoir la présence d’un professeur de droit, d’un juge judiciaire, d’un juge administratif, les uns et les autres dotés d’une expérience professionnelle remarquable, d’un haut fonctionnaire parlementaire ou relevant d’une administration centrale, d’anciens parlementaires ou ministres de premier plan (retirés depuis un certain temps de la vie politique). La liste n’est pas limitative et elle ne doit pas nécessairement être aussi précise. Il conviendrait également de réfléchir à une augmentation du nombre des membres du Conseil, de 9 à 12 par exemple. Mais il faut éviter que le Conseil constitutionnel devienne un organe politique coiffant le Parlement, il doit rester strictement dans son rôle de gardien de la Constitution. L’équilibre actuel est probablement satisfaisant, mais la question est de savoir si le Conseil constitutionnel saura résister à la tentation de devenir, comme l’est parfois la Cour européenne des droits de l’homme, un organe créateur des normes dont il assure le respect et censeur du législateur au regard de la propre vision qu’il se fait de l’évolution de la société, voir de l’équilibre souhaitable entre le social et l’économique. La réserve, le "self restreint" d’un juge chargé de juger les décisions des élus du peuple est aussi l’une des conditions de sa légitimité.

En termes de nominations, de missions confiées et de moyens mis à sa disposition, peut-on comparer le Conseil constitutionnel à la Cour Suprême américaine ? Dans quelle mesure ?

Le terme de Cour suprême est souvent évoqué en France dans un contexte de concurrence institutionnelle entre trois juridictions qui se réclament parfois de ce concept : la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. En réalité, en France, contrairement aux Etats-Unis, il ne peut y avoir de Cour suprême tant qu’il existe trois ordres de juridiction non hiérarchisés. Cependant, le modèle américain est une référence pour des juridictions qui voudraient assurer l’essentiel du contrôle du respect des droits fondamentaux. C’est ainsi que la Cour de cassation réfléchit à un système, qui existe aux Etats-Unis, de filtrage des affaires dont elle a à connaître et tente de développer un contrôle de proportionnalité entre les différents droits et libertés en cause, à l’instar de ce que fait la Cour européenne des droits de l’homme. En témoignent les arrêts rendus sur des affaires concernant l’état civil d’enfants nés de gestation pour autrui menées à l’étranger.

De leur côté, certains membres éminents du Conseil constitutionnel voudraient étendre leur contrôle de la loi au respect des droits européens. Ainsi, aux Etats-Unis, la Cour suprême est la garante du respect de l’ensemble du droit fédéral. Une autre différence fondamentale entre le système américain et le système français tient au fait qu’aux Etats-Unis la justice est réellement un pouvoir qui s’incarne dans la Cour suprême et qu’en France le pouvoir politique habitué à un juge subordonné supporte mal la prétention de la justice, dont la légitimité démocratique est moins évidente de s’affirmer face à lui comme un pouvoir et à empiéter sur ses compétences (cf. B. Mathieu, Justice et politique : la déchirure ? Lextenso, 20015). Aux Etats-Unis, les membres de la Cour suprême sont nommés à vie par le Président mais doivent être confirmés par le Sénat. C’est-à-dire que leur nomination nécessite l’accord des deux autres pouvoirs. Par ailleurs, les juges bénéficient de conditions de travail, d’assistants, d’une situation qui n’a rien à voir avec celle de leurs homologues français. Enfin, la personnalisation des juges est beaucoup plus grande qu’en France car aux Etats-Unis chaque juge peut faire valoir à la suite d’une décision rendue par la Cour sa propre opinion. Il n’est pas évident que la transposition en France de cette faculté, dite des "opinions dissidentes" parfaitement étrangère à la tradition juridictionnelle française ne renforce l’autorité du Conseil constitutionnel.

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29 décembre 2015 2 29 /12 /décembre /2015 15:02

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/12/29/31001-20151229ARTFIG00107-etat-d-urgence-une-revision-constitutionnelle-pour-quoi-faire.php

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29 décembre 2015 2 29 /12 /décembre /2015 14:01

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/12/29/31001-20151229ARTFIG00107-etat-d-urgence-une-revision-constitutionnelle-pour-quoi-faire.php

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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 11:13

Rendons la parole au peuple pour sauver la démocratie

Le Monde.fr | 17.12.2015 à 12h07 • Mis à jour le 17.12.2015 à 12h06

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Par Bertrand Mathieu

La situation politique française, comme celle d’un certain nombre de pays européens, traduit une crise de la démocratie représentative. Les votes pour des partis se situant aux extrêmes de l’échiquier politique, s’ajoutant aux abstentionnistes, sont majoritaires. Les raisons en sont multiples, elles tiennent notamment à la déconnexion entre le choix électoral et les décisions prises qui résultent en fait de contraintes externes, économiques, financières…

Par ailleurs, la démocratie, qui fonctionne dans un cadre national, est concurrencée par des systèmes supranationaux. Or les unes et les autres de ces contraintes n’obéissent pas à une logique démocratique. Les décisions juridictionnelles, nationales ou supranationales, concurrencent le pouvoir politique. Face à cette crise, le recours à la démocratie participative développe les communautarismes et ne permet pas de légitimer les décisions au niveau national. Le jeu, devenu triangulaire, des forces politiques accule les formations politiques traditionnelles à un déni de réalité. L’affrontement entre ceux qui maintiennent la fiction d’une démocratie vivante et ceux qui laissent croire que l’on pourrait, par une simple volonté politique, échapper aux contraintes externes est stérile. Il menace nos systèmes démocratiques qui sont plus fragiles que l’on peut le penser.

Revivifier la démocratie c’est revenir à son sens premier, rendre la parole au peuple. Au-delà de la formule, il existe dans la Constitution un instrument pertinent : le référendum. Craint, du fait que le peuple ne répond pas toujours à la question posée, galvaudé par une utilisation opportuniste, le référendum reste un outil majeur de la démocratie. On dénonce le risque de dérive plébiscitaire, pourtant quoi de plus démocratique pour un responsable politique que d’engager, en cours de mandat, sa responsabilité devant le peuple qui l’a élu. On invoque le risque de dérive populiste, mais priver le peuple de la faculté de s’exprimer ne peut que favoriser les partis populistes.

Plusieurs pistes à explorer

Il est vrai que dans notre système juridique le principe démocratique est tempéré par un principe libéral de séparation des pouvoirs et de garantie des droits. La question se pose alors de trouver un mécanisme qui permette de redonner la parole au Peuple tout en évitant que ne soit remise en cause cette démocratie tempérée qui est le modèle de nos sociétés occidentales.

Plusieurs pistes peuvent être explorées. D’abord redonner la parole au peuple sur des questions importantes, parmi lesquelles ces « questions de société », dont justement le Conseil constitutionnel estime qu’elles sont tellement politiques qu’il n’en contrôle pas la constitutionnalité. Mais aussi éviter que par la voie référendaire ne soient opérées des violations de droits et libertés, fondamentaux au sens strict du terme
Une méthode simple s’impose : soumettre les projets (ou les propositions) de loi référendaire au Conseil constitutionnel préalablement à leur vote par le peuple, le juge constitutionnel pouvant apprécier, tant la clarté du texte, voire de la question, que sa conformité aux dispositions substantielles de la Constitution.

Il ne faut pas se cacher que cette procédure interdirait au président de la République de réviser la Constitution en en appelant directement au peuple sans vote préalable des Assemblées parlementaires. Concernant l’Assemblée nationale, le président pourrait toujours prononcer une dissolution suivie d’élections dont l’un des enjeux serait la révision constitutionnelle. Cette possibilité n’existe pas pour le Sénat, ainsi le Sénat pourrait s’opposer à lui seul à une révision constitutionnelle, ce qui présente l’avantage d’éviter toute révision ne faisant pas l’objet d’un consensus minimum, mais donne au Sénat un pouvoir considérable et empêcherait incidemment toute révision conduisant à modifier le rôle du Sénat. Reste à savoir si cet inconvénient est dirimant au regard de l’intérêt politique que représenterait une telle novation.

Il n’en reste pas moins qu’interroger directement le peuple par la voie référendaire ne peut être une procédure banale, la Suisse reste de ce point de vue une exception justifiée tant par ses traditions que par sa dimension. Plus généralement, le référendum d’initiative populaire doit être entouré de garanties et de conditions qui en rendent l’usage peu commode. La première condition à laquelle doit répondre le référendum, c’est la clarté de la question posée, la seconde tient au fait que la volonté exprimée par le peuple devra être respectée.

Le récent référendum grec sur le plan d’austérité traduit de ce point de vue l’impuissance démocratique, plus qu’il n’en constitue l’expression. Enfin, le principal obstacle au recours au référendum, c’est la crainte de l’auteur de la question, le président de la République, d’être désavoué, par une expression populaire qui traduira plus un jugement sur sa politique qu’une réponse à la question posée. De ce point de vue, plusieurs pistes de réflexion doivent être suivies. D’abord, le référendum permettrait à un président nouvellement élu de s’engager sur quelques points forts de son programme et d’instaurer ainsi un climat de confiance qui constitue un soutien autant qu’une obligation. Si en cours de mandat, et a fortiori, en fin de mandat, le recours au référendum est plus risqué, sauf à constituer une manœuvre opportuniste, il peut répondre à la demande de responsabilité que traduit son appropriation plébiscitaire par le peuple. Encore faudrait-il que le courage politique et le sens de l’intérêt général surmontent les intérêts personnels et les combinaisons. Mais de ce point de vue la Constitution ne peut rien, c’est la qualité des responsables politiques qui fait tout.

S’agissant de la révision de la Constitution, il conviendrait également d’associer le peuple à toutes les révisions importantes.

On ne trouvera là qu’une réflexion à peine ébauchée qui mériterait débat. Elle n’en répond pas moins à la nécessité de rendre la parole au peuple, ce qui dans un système qui se veut démocratique n’est pas si archaïque que veulent bien le penser ceux qui sont, de fait, attachés à un système oligarchique et qui exercent, à ce titre, le pouvoir intellectuel ou politique. Faute de quoi, le peuple risque de reprendre une parcelle du pouvoir qui lui est dénié dans des conditions qui peuvent conduire à tous les débordements.

Bertrand Mathieu est professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris I. Il est ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature

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