LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
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ÉTRANGERS
357 La réforme du droit de l’immigration
par référendum est-elle possible ?
Alors que le président de la République
suggère, implicitement, le
recours au référendum pour revivifier
une démocratie bien mal en point, une
partie de la classe politique et, notamment
le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau,
saisissent la balle au bond pour proposer
qu’un référendum porte sur l’une des questions
au coeur du débat politique, à savoir
l’immigration.
Deux arguments sont invoqués pour faire
obstacle à ce projet : les questions relatives à
l’immigration ne seraient pas de celles sur
lesquelles on peut interroger les français
par la voie du referendum de l’article 11 de
la Constitution et, d’autre part, le Conseil
constitutionnel pourrait contrôler, a priori,
à la fois le respect de ces exigences et la substance
de la question posée.
Ces deux arguments méritent pour le moins
d’être nuancés.
D’une part, l’article 11 de la Constitution
dispose qu’un projet de loi référendaire peut
porter sur des réformes relatives à la politique
sociale de la Nation. Des dispositions
portant, par exemple, sur l’acquisition de la
nationalité ou sur le droit d’asile, peuvent
être considérées comme entrant difficilement
dans ce cadre. En revanche, toutes les dispositions
relatives aux aides sociales attribuées aux
étrangers sont susceptibles d’être soumises à
référendum.
D’autre part, la question est débattue de savoir
si le Conseil constitutionnel pourrait contrôler
la constitutionnalité du projet de loi soumis
à référendum. Une réponse affirmative lui
permettrait alors de faire obstacle à une révision
constitutionnelle engagée selon la procédure
de l’article 11 de la Constitution, mais
aussi à des dispositions législatives ordinaires
qu’il jugerait contraires à la Constitution.
S’agissant du contrôle susceptible d’être exercé
par le Conseil constitutionnel, sur un projet
de loi que le président de la République décide
de soumettre à référendum, la question doit
être examinée de deux points de vue.
Le premier, porte sur le contenu de la disposition
soumise à référendum. Ainsi le Conseil
constitutionnel a, par exemple, dans sa décision
2024-6 RIP (Cons. const., 11 avr. 2024,
n° 2024-6 RIP, proposition de loi visant à
réformer l’accès aux prestations sociales des
étrangers), fait obstacle à l’engagement d’une
procédure de référendum d’initiative partagée
(RIP), pour laquelle son contrôle est prévu
par la Constitution, au motif que la mise en
place de nouvelles conditions à l’attribution
de prestations sociales en faveur des étrangers
contrevenait au principe constitutionnel de
solidarité. Il a également jugé que le principe
de fraternité interdisait de pénaliser l’aide
apportée aux étrangers en situation irrégulière
(Cons. const., 6 juill. 2018, n° 2018-
717/718 QPC : JurisData n° 2018-011995 ;
JCP G 2018, doctr. 876, Étude M. Borgetto).
On pourrait citer d’autres décisions visant à
faire obstacle à toute réforme de fond du droit
de l’immigration, mais ces deux exemples
démontrent la manière dont le Conseil
constitutionnel construit une jurisprudence
très contraignante, au nom d’un état de droit
dont il définit la substance à partir de références
constitutionnelles particulièrement
générales. En effet, la solidarité s’exerce, selon
la Constitution, à l’égard des français (Préambule
de 1946, al. 12) et la fraternité concerne
les rapports avec les peuples d’outre-mer.
Dans ce dernier cas, le Conseil fait également
référence à la devise de la République, mais
il faudrait alors considérer que le principe
d’égalité s’applique aux étrangers en situation
irrégulière comme aux français, ce qui ouvre
des perspectives vertigineuses !
Le second, porte sur la compétence du Conseil
constitutionnel pour contrôler la décision
du président de la République de recourir à
la procédure référendaire et la substance du
texte proposé. À partir de sa décision Hauchemaille
(Cons. const., 25 juill. 2000,
n° 2000-21 REF), et selon un raisonnement
repris dans sa décision 2024-57 ELEC (Cons.
const., 12 sept. 2024, n° 2024-57 ELEC),
le Conseil constitutionnel a rappelé que « il
résulte de l’article 46 de l’ordonnance portant
loi organique du 7 novembre 1958 que
ses attributions ont un caractère consultatif
en ce qui concerne l’organisation des opérations
de référendum », mais que « en vertu
POINTS-CLÉS ➜ L’article 11 de la Constitution permet l’organisation d’un référendum portant
sur les politiques sociales en matière d’immigration ➜ Contrairement à ce qui est souvent
soutenu, le Conseil constitutionnel n’est pas juridiquement compétent pour se prononcer sur
la constitutionnalité du texte soumis à référendum
Bertrand Mathieu,
professeur émérite de l’université
Paris1 Panthéon Sorbonne,
ancien Conseiller d’État (S.E.)
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de la mission générale de contrôle de la
régularité des opérations référendaires qui
lui est conférée par l’article 60 de la Constitution,
il [lui] appartient(…) de statuer sur
les requêtes mettant en cause la régularité
d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité
qui serait opposée à ces requêtes
risquerait de compromettre gravement l’efficacité
de son contrôle des opérations référendaires,
vicierait le déroulement général
du vote ou porterait atteinte au fonctionnement
normal des pouvoirs publics ». C’est
à partir de cette dernière hypothèse, le risque
d’une atteinte au fonctionnement normal des
pouvoirs, que certains commentateurs, mais
aussi l’ancien président du Conseil constitutionnel,
Laurent Fabius (qui ne peut s’être prononcé
qu’à titre personnel), ont considéré que
le Conseil constitutionnel pourrait contrôler la
constitutionnalité d’un projet de loi soumis à
référendum. Pour résumer, le Conseil n’a pas
de compétence pour juger de la décision du
président de la République de soumettre un
projet de loi à référendum (comme le Conseil
constitutionnel l’avait reconnu en 1962), mais
il récupérerait cette compétence au travers du
contrôle de la régularité formelle du décret de
convocation des électeurs !
Si de nombreux arguments peuvent être opposés
à la constitutionnalité de la révision de
la Constitution par la voie de l’article 11 (c’està-
dire sans intervention du Parlement), la
Constitution n’attribue aucune compétence au
Conseil constitutionnel pour censurer la décision
du président de la République de recourir
au référendum. Trois arguments peuvent être
invoqués à l’appui de cette affirmation.
Premièrement, le Conseil constitutionnel a
une compétence d’attribution. Il ne dispose
pas d’une compétence générale pour veiller
au respect de la Constitution. C’est d’ailleurs
ce que le Conseil rappelle lui-même dans
sa décision 2024-60 ELEC du 12 septembre
2024 : « La compétence du Conseil constitutionnel
est strictement délimitée par la
Constitution. Elle n’est susceptible d’être
précisée et complétée par voie de loi organique
que dans le respect des principes posés
par le texte constitutionnel. Le Conseil
constitutionnel ne saurait être appelé à se
prononcer dans d’autres cas que ceux qui
sont expressément prévus par la Constitution
ou la loi organique ». L’argument selon
pu constituer l’occasion d’établir un contrôle
par le Conseil constitutionnel de la décision
du président de la République de soumettre
un projet de loi à référendum, tel n’a pas été le
cas et des amendements en ce sens ont été rejetés.
Or le débat était déjà posé puisqu’à la fin
de son second mandat, et à l’occasion d’une
interview à la revue Pouvoirs (avril 1988), le
président Mitterrand avait considéré que la
procédure de l’article 11 pourrait être utilisée
pour réviser la Constitution.
Troisièmement, un contrôle du Conseil constitutionnel
est prévu pour les référendums d’initiative
partagée, alors que tel n’est pas le cas
« La Constitution n’attribue aucune
compétence au Conseil constitutionnel
pour censurer la décision du président de la
République de recourir au référendum. »
lequel, à défaut, il n’existerait pas de contrôle
juridictionnel sur la décision du président de
la République est, peut-être, politiquement
recevable, juridiquement il ne l’est pas. En la
matière, l’article 5 de la Constitution fait du
président de la République le garant du respect
de la Constitution (sous le contrôle du
Parlement réuni en Haute-Cour qui pourrait
le destituer en cas de violation grave de la
Constitution).
Deuxièmement, si les différentes réformes
constitutionnelles visant l’article 11 auraient
pour les autres procédures de l’article 11. L’argument
a contrario, s’impose en la matière.
Si le Conseil constitutionnel s’opposait à la tenue
d’un référendum sur la politique de l’immigration,
spécifiquement dans son aspect
social, il réaliserait un véritable « coup d’état
juridictionnel », ouvrant une crise grave dans
ses rapports avec le pouvoir politique.
En réalité, la décision est entre les mains du
gouvernement (qui dispose du pouvoir de
proposition) et du président de la République
(qui détient un pouvoir de décision).