La Croix 20 décembre 2013
FRANCE
BERTRAND MATHIEU PROFESSEUR DE DROIT CONSTITUTIONNEL À L’UNIVERSITÉ PARIS
I-LA SORBONNE
Va-t-on vers une banalisation de l’avortement ?
RECUEILLI PAR MARINE LAMOUREUX
L’examen du projet de loi d’égalité entre les femmes et les hommes commence aujourd’hui à
l’Assemblée nationale. En commission, les députés ont supprimé la référence à la « situation de
détresse » de la femme qui justifiait jusqu’alors le recours à l’interruption volontaire de grossesse.
« Cet amendement – notons cependant qu’il n’est pas encore définitivement voté – représente un
changement profond de la philosophie de la loi de 1975. Celle-ci repose en effet sur l’équilibre
entre deux principes fondamentaux : le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie,
qui justifie la protection de l’embryon au nom du principe de dignité, et la liberté de la femme, à qui
on ne peut imposer une contrainte qu’elle s’estime incapable de supporter. Le garant de cet
équilibre est le délai durant lequel le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est
autorisé : avant 12 semaines, la liberté de la future mère prime, après, la protection de l’embryon
l’emporte. Mais c’est aussi la notion de “détresse” de la femme, comme l’a rappelé le Conseil
constitutionnel en 2001, qui garantit que celle-ci ne dispose pas d’un droit inconditionnel sur la vie
de l’enfant à naître.
Certes, dans la pratique, le fait de supprimer cette notion ne va pas changer grand-chose, car on
ne demande pas aux femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse de justifier concrètement
de leur situation de détresse. Mais sur le plan des principes, c’est un véritable bouleversement.
Car ce qui est en jeu, c’est la place que notre société accorde à la protection de la vie. Il n’y aurait
ainsi plus aucune condition mise au droit de recours à l’avortement au cours des douze premières
semaines, un délai durant lequel on dispose d’un nombre croissant d’informations sur le foetus au
travers du diagnostic prénatal. Autrement dit, la disparition de la notion de détresse revient à
légitimer la logique de l’avortement eugénique. Personne ne pourra, par exemple, reprocher à un
couple d’avoir eu recours à l’IVG parce que le sexe de son enfant, visible dès la première
échographie, ne lui convient pas.
En outre, reléguer au second plan le respect de la protection de la vie n’est pas sans conséquence
dans d’autres domaines. Si l’on devait s’acheminer vers une dépénalisation de l’euthanasie, la
logique risquerait d’être la même au bout de quelques années : passer d’une “exception”, justifiée
par des conditions très particulières de souffrance et d’incurabilité, à un droit à part entière. »