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26 avril 2019 5 26 /04 /avril /2019 08:46

Les incertitudes affectant les projets constitutionnels annoncés par le président Macron relatifs au référendum.

 

Lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, le président Macron a annoncé sa volonté de modifier le système du référendum d'initiative partagée. Ainsi, si l'on interprète correctement la parole présidentielle,  un million de citoyens pourraient engager une procédure législative pouvant déboucher soit sur un examen parlementaire, soit sur un référendum. C’est en quelque sorte une inversion du mécanisme existant du référendum d’initiative partagée : une intervention populaire peut déboucher avec l’accord, au moins tacite du parlement sur un référendum. La mise en place d’un référendum local obéit à la même logique : des électeurs peuvent faire en sorte qu’un sujet soit débattu par l’assemblée locale. Il ne s’agit pas de faire de ces instruments de démocratie directe une alternative, même limitée, à la démocratie représentative, dans l’esprit de l’article 3 de la Constitution (« la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ») mais une faculté offerte à un certain nombre de citoyens de solliciter les institutions représentatives.

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16 avril 2019 2 16 /04 /avril /2019 08:30

Un Référendum d’initiative partagée pour ADP ?

Le 10 avril, le président de l’Assemblée nationale a transmis au Conseil constitutionnel le texte sur la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) afin de bloquer cette procédure. Il s’agit du premier Référendum d’initiative partagée (RIP) de l’histoire de la Ve République.

Décryptage par Bertrand Mathieu, professeur de droit à l’école de droit de l’université Paris Panthéon-Sorbonne, conseiller d’État en service extraordinaire, vice-président de l’association de droit constitutionnel, expert au Club des juristes.

« La procédure du référendum d’initiative partagée est pour l’essentiel un moyen pour l’opposition d’interpeller le gouvernement, d’obliger la majorité parlementaire à se saisir d’une question et de solliciter l’opinion publique »

 

Qu’est-ce qu’un référendum d’initiative partagée?

Il s’agit d’une procédure inscrite à l’article 11 de la Constitution lors de la réforme constitutionnelle de 2008. La procédure référendaire est initiée par un cinquième des membres du parlement, en l’occurrence 248 députés et sénateurs appartenant à l’ensemble des groupes d’opposition. Ce n’est qu’ensuite que les citoyens interviennent. Cette proposition doit en effet pour prospérer, obtenir le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,7 millions de personnes.

C’est donc un référendum d’initiative partagé, procédure dans laquelle l’intervention du peuple est seconde, conditionnée par une initiative parlementaire. On peut, en réalité, considérer que cette procédure a été adoptée à la fois pour répondre à une demande visant à instiller des mécanismes de démocratie directe dans une démocratie essentiellement représentative, à compenser le manque d’appétence des différents présidents de la République pour cette manière de légiférer, et à la fois pour verrouiller le processus, par une initiative parlementaire préalable.

Quelles sont les différentes étapes de cette procédure ?

Cette procédure est d’une grande complexité. Une proposition de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité, qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des pouvoirs publics, peut être déposée, comme il a été rappelé par un cinquième des membres du parlement. Il est précisé que cette initiative ne peut avoir pour objet une disposition législative promulguée depuis moins d’un an, ce délai étant calculé à la date d’enregistrement de la saisine du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel est alors saisi et il vérifie tant la régularité de la procédure que la conformité à la Constitution de la proposition. On relèvera que la procédure référendaire à l’initiative du Président de la République ne prévoit pas un tel contrôle.

Le Conseil constitutionnel dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer. S’il estime que la proposition satisfait aux exigences constitutionnelles, la procédure de recueil des soutiens des électeurs (dont le Conseil a fixé le nombre correspondant à un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales) est engagée sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il est important de souligner que ces soutiens sont exprimés sous forme électronique. Cependant, et ce point n’est pas toujours assez souligné, l’initiative parlementaire, le soutien populaire et l’aval du Conseil constitutionnel ne conduiront pas nécessairement à l’organisation d’un référendum portant sur cette proposition. Ce n’est que si cette proposition n’est pas examinée au moins une fois par chaque assemblée dans un délai de six mois après l’obtention des soutiens nécessaires que le Président de la République devra la soumettre à référendum.

Si ce referendum aboutit, quelle serait l’issue pour la procédure de privatisation d’ADP ?

Avant de répondre à cette question, il convient d’inscrire la proposition visant à interdire la privatisation d’Aéroport de Paris dans le calendrier procédural qui vient d’être rappelé. Le 10 avril, le Conseil constitutionnel a été saisi de la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, c’est-à-dire à interdire sa privatisation, déposée dans le cadre de la procédure du référendum d’initiative partagée (cette décision, première de son genre, portera le numéro 2019-1 RIP). Le Conseil dispose d’un mois pour se prononcer. A priori, sur le fond, cette proposition ne devrait pas soulever de problème de constitutionnalité. Elle rentre bien dans le champ des dispositions qui peuvent être adoptées par référendum (service public concourant à la politique économique de la Nation). Entre-temps, la disposition visant à la privatisation d’Aéroport de Paris, inscrite dans la loi dite « PACTE » a été adoptée en dernière lecture le 11 avril. Selon toute probabilité cette loi sera déférée au Conseil constitutionnel qui disposera d’un mois pour se prononcer sur sa constitutionnalité. À l’issue de cet examen, la loi, si elle est déclarée conforme, sera promulguée. En toute logique, le Conseil, saisi d’abord de la proposition visant à soumettre l’interdiction de la privatisation à référendum et ensuite seulement sur la disposition permettant la privatisation inscrite dans la loi « PACTE » se prononcera d’abord sur la proposition, mais en toute hypothèse le délai d’un an pendant lequel il est interdit de proposer l’abrogation d’une disposition législative promulguée est calculé à la date d’enregistrement de la saisine du Conseil, c’est-à-dire le 10 avril.

Si la privatisation d’Aéroport de Paris est jugée conforme à la Constitution, elle sera applicable dès sa promulgation, nonobstant le déroulement de la procédure visant à soumettre à référendum l’interdiction de cette privatisation. À supposer, ce qui ne relève pas de l’évidence, que le nombre de soutiens d’électeurs soit réuni, le Parlement disposera de six mois pour examiner la proposition visant à interdire la privatisation. La seule hypothèse qui pourrait conduire à ce que la proposition soit soumise à référendum tiendrait au fait qu’il n’examine pas la proposition. On imagine mal le Parlement prendre dans ces conditions le risque d’un renvoi automatique de la proposition au référendum. S’il examine, comme ce sera très probablement le cas, cette proposition, soit il ne la vote pas et la proposition n’est pas soumise à référendum, soit il l’adopte. Dans ce dernier cas, la privatisation serait interdite mais il n’y aurait pas non plus nécessairement lieu à référendum, cette interdiction résultant d’une loi parlementaire. Un référendum pourrait cependant être organisé à l’initiative du Président de la République. Sauf bouleversements politiques, on imagine mal la majorité parlementaire se déjuger et voter quelques mois après la décision de privatisation, son interdiction.

L’aboutissement du référendum est donc hautement improbable. Si, faisant de la politique fiction, on se place dans une hypothèse contraire (c’est-à-dire organisation du référendum et adoption de la loi référendaire), la loi la plus récente s’appliquerait et la procédure de privatisation devrait être interrompue si elle est en cours, ou l’État devrait procéder à une nationalisation si elle est déjà opérée. En réalité, de manière générale, la procédure du référendum d’initiative partagé est pour l’essentiel un moyen pour l’opposition d’interpeller le gouvernement, d’obliger la majorité parlementaire à se saisir d’une question et de solliciter l’opinion publique. En l’espèce, c’est un outil institutionnel au service d’une stratégie politique, ce qui n’est pas en soi illégitime.

Pour aller plus loin :

Par Bertrand Mathieu.

 

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29 janvier 2019 2 29 /01 /janvier /2019 21:28
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3 décembre 2018 1 03 /12 /décembre /2018 14:13

De quoi le mouvement des « gilets jaunes » est le révélateur ?

 

Le mouvement des « gilets jaunes » et les débordements qui l’accompagnent sont révélateurs de trois phénomènes différents, mais concomitants.

Le premier qui s’est exprimée par les dégradations apportées à des lieux symboliques, en tout premier lieu l’Arc de triomphe, traduit l’existence au sein de la société de groupes d’individus totalement déracinés, désinscrits de l’histoire de la Nation, de ses valeurs et donc de son avenir. Si piller des magasins de luxe ou brûler des voitures relève d’un vandalisme qui a toujours existé, les dévastations des lieux dans lesquels s’inscrivent à la fois la légitimité institutionnelle et la communion nationale sont des actes de sauvagerie, c’est-à-dire des actes de rupture avec la culture. C’est d’une crise de civilisation qu’ils témoignent.

Le second phénomène concerne le mouvement des « gilets jaunes » lui-même. Parti d’une classique révolte fiscale, il traduit la rupture profonde entre les élites qui gouvernent et le Peuple, entre le centre et la périphérie, entre des individus en mouvement dans la mondialisation et d’autres ancrés dans un territoire. Ce phénomène a été depuis quelques années annoncé et décris par quelques analystes lucides. Il était patent pour qui a été conduit à côtoyer ces deux mondes. Il se manifeste aujourd’hui à nous avec la force de l’évidence. L’impossible dialogue entre les « gilets jaunes » et les responsables politiques traduit la relative impuissance des élus. Le vote est déconnecté de la décision, car cette décision échappe pour une large part aux élus. Les décisions essentielles sont prises par les institutions supranationales, les organes indépendants, notamment en matière financière, auxquels les États ont confié les clés du pouvoir, les Organisations non gouvernementales, les agences de notation, les juges, les entreprises multinationales, les maîtres des réseaux internet… La révolte est celle d’un Peuple qui voit son destin lui échapper. Ce mouvement est donc d’abord un révélateur. Les débats organisés entre des « gilets jaunes » et des élus sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio traduisent le fait que les fils de la communication sont rompus. Surtout ils permettent à des individus condamnés au silence de s’exprimer, non pas brièvement, comme des alibis, pour poser à responsable politique, une question à laquelle ils recevront une réponse stéréotypée sans possibilité de débat, comme dans les émissions politiques classiques, mais d’échanger à égalité avec leurs interlocuteurs. Une parole souvent désordonnée, mais une parole neuve, une parole enracinée dans la réalité d’un territoire et d’un vécu, une parole concrète. Les règles du jeu ne sont plus les mêmes d’où le malaise des commentateurs et des responsables politiques. Les discours lénifiants habituels ne fonctionnent plus. Les participants au mouvement qui s’expriment ne reconnaissent plus les élus comme leurs représentants. C’est d’une crise de la démocratie qu’ils témoignent.

Par ailleurs, plus indirectement, ce mouvement traduit l’échec d’une conception hyper-individualiste et moralisatrice des droits de l’homme qui profite d’abord aux communautés sexuelles, religieuses, minoritaires mais qui ne répond pas aux exigences d’égalité et de liberté de la plus grande partie des citoyens. Le débat au Parlement sur l’interdiction de la « fessée », en pleine crise politique d’une gravité sans précédent, ou presque, est de ce point de vue surréaliste.  De la même manière le multiculturalisme et une ouverture incontrôlée à l’immigration fragilisent une société confrontée à de réelles difficultés matérielles et sommée de s’adapter à d’autres modes de vie, d’autres valeurs, sous peine de se voir dénoncée comme raciste ou condamnée au nom d’une des multiples phobies que recèlent le code pénal. Au lieu d’accueillir dignement des étrangers victimes de persécutions, on tolère que des familles immigrées vivent dans la rue sans que les éléments les plus essentiels de leur dignité ne soient respectés. De la même manière une conception punitive de l’écologie va contribuer à ruiner un combat essentiel.  Dans les villes cohabitent des très riches, des « bobos » pétris de bons sentiments qui ne leur coûtent guère et qui les rend aveugles au monde qui les entourent et des humains dans la détresse, que plus personne, ou presque, ne regarde. Dans les lotissements périphériques des villes de province, cohabitent les quelques paysans qui restent, confrontés à un travail harassant et des difficultés multiples, et des gens qui travaillent, utilisent leurs voitures pour aller travailler, ne sont pas racistes, ou pollueur, par nature, mais sont d’abord confrontés aux difficultés de boucler leur fin de mois. C’est d’une crise sociale que ce mouvement est révélateur.

Crise de civilisation, crise démocratique, crise sociale, la gravité et la profondeur du phénomène rendent très incertaines les solutions. Elles ne sont pas essentiellement institutionnelles, la solidité des institutions de la V° République reste un des rares point d’ancrage. En revanche, il convient de réinstiller de la démocratie directe dans leur fonctionnement, de revenir à la logique première de la Constitution qui donnait une place centrale au Peuple. Si le référendum est un outil difficile à manier en pleine crise, un recours rationnalisé et plus fréquent à cette procédure qui permet une connexion directe entre le vote et la décision, peut être un élément de réponse. Il faut également repenser profondément la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, l’État, les institutions européennes, les organes internationaux. Il s’agit d’abord de rendre lisibles les décisions politiques et d’assoir la légitimité de ceux qui les prennent. Or en démocratie cette légitimité est d’abord populaire. Mais l’appel à un pouvoir autoritaire peut être un débouché plus immédiat. Il est à craindre. En dénoncer la perspective ne suffira en tous cas pas à l’écarter.

 

Bertrand MATHIEU

Professeur agrégé des facultés de droit

Auteur de « le droit contre la démocratie ? », Lextenso, 2017

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19 septembre 2018 3 19 /09 /septembre /2018 21:27
Le Figaro 21/09/18
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4 juin 2018 1 04 /06 /juin /2018 07:59
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4 novembre 2017 6 04 /11 /novembre /2017 12:43

Pour nous aider à comprendre le monde dans lequel nous vivons, un excellent roman de Daniel Rondeau: Mécaniques du chaos, aux éditions Grasset.

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13 septembre 2017 3 13 /09 /septembre /2017 10:19
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13 septembre 2017 3 13 /09 /septembre /2017 10:14

Actualité G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 1 2 s e p t e m b r e 2 0 1 7 - N O 3 0 1 1 CONSTITUTIONNEL Le droit est-il en train d’étouffer la démocratie ? 302w0 Entretien avec Bertrand Mathieu, professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1), vice-président de l’association internationale de droit constitutionnel, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature Bertrand Mathieu Certes inséparable de la démocratie, le droit n’est-il pas en train de se dresser contre elle au risque de la détruire ? C’est la question stimulante que pose le constitutionnaliste Bertrand Mathieu dans son essai Le droit contre la démocratie ? Ce livre poursuit la réflexion entamée par l’auteur en 2015 sur l’évolution de nos institutions dans Justice et politique : la déchirure ? Gazette du Palais : Le titre de votre dernier livre, Le droit contre la démocratie ?, interpelle. En quoi le droit peut-il être opposé à la démocratie ? Bertrand Mathieu : L’idée de ce livre est ancienne et part de la volonté de comprendre la désaffection qui frappe la démocratie. Les citoyens oscillent entre révolte et désintérêt parce qu’ils s’aperçoivent que le vote n’embraye plus sur la décision politique. Le droit est la condition de la démocratie et il détermine les modalités de son exercice mais il peut, en cas de dérive, l’encadrer et la contraindre de telle manière qu’elle soit étouffée. Gaz. Pal. : Pourquoi et comment ce déséquilibre s’opère-t-il ? B. Mathieu : L’une des causes est le développement du droit supranational. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur à l’égard de l’Union européenne – je suis au demeurant convaincu de l’intérêt de l’Europe –, mais d’un simple constat. On estime que près de 80 % de la législation nationale est directement ou indirectement contrainte par le droit européen. Or, contrairement à une idée reçue, ce droit n’est pas produit démocratiquement. Une démocratie suppose en effet l’existence d’un peuple, sur un territoire, doté d’un État au sein duquel l’exercice des pouvoirs est organisé sous une forme démocratique. Or, il n’y a pas d’État européen, pas plus que de peuple qui prendrait des décisions. Certes, le Parlement européen est élu mais cela ne suffit pas à faire de l’Union européenne une démocratie. Plus largement, les citoyens ont très bien compris que les décisions, voire les choix de société, sont prises par des oligarchies juridictionnelles (notamment la Cour européenne des droits de l’Homme), économiques ou financières dépourvues de légitimité démocratique. En d’autres termes, la règle de droit à laquelle nous nous soumettons est le produit de puissances non démocratiques. Et le même phénomène peut être observé au niveau national avec le développement des autorités administratives indépendantes qui, elles aussi, édictent des normes en dehors du cadre démocratique. Gaz. Pal. : Dans votre livre, vous dénoncez surtout l’hypertrophie des droits de l’Homme. Pourtant, plus les droits individuels s’élargissent et gagnent en intensité plus cela incite à considérer qu’une démocratie est saine et évoluée… B. Mathieu : Mais c’est en réalité le contraire ! Aucune société ne se bâtit durablement sur l’individualisme. Une erreur courante consiste à considérer que démocratie et droits de l’Homme forment un tout indissociable. En réalité, les droits fondamentaux sont simplement les valeurs sur lesquelles les démocraties libérales ont décidé de s’appuyer. Poussés à l’extrême, ils mènent nécessairement à l’éclatement de la notion d’intérêt général. À partir du moment où une société est fondée sur des individus pour lesquels tout désir devient un besoin et tout besoin devient un droit, on n’arrive plus à formuler un intérêt général. Or la formulation de l’intérêt général est l’objet même du jeu démocratique. Les droits fondamentaux tels qu’ils sont interprétés font prévaloir jusqu’à l’absurde la primauté de l’individu sur le collectif. Et ces droits entrent en conflit les uns avec les autres. Plus vous étendez la liberté de la presse, plus vous réduisez le droit au respect de la vie privée et inversement. La notion de progrès est donc largement illusoire puisque les avancées obtenues par les uns pèsent sur les autres. Les rapports sociaux ne s’insèrent plus dans une dimension collective, historique et institutionnelle, mais se réduisent à des relations interindividuelles et les institutions ne sont plus que des prestataires de services et de droits 302w0 Actualité 1 2 G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 1 2 s e p t e m b r e 2 0 1 7 - N O 3 0 individuels. De fait, la démocratie ne parvient plus à assurer la stabilité et un certain bien-être collectif. Mais comme les individus ont toujours besoin de se retrouver ensemble, ils reforment des communautés à l’intérieur de la communauté nationale qui s’est désagrégée, c’est le communautarisme. Et le paradoxe final, on le voit bien avec l’Islam politique, c’est qu’une communauté peut mettre en cause la conception même des droits de l’Homme. Le système débouche sur une impasse. Il est incapable de gérer le rapport individu, communauté, intérêt collectif. Il perd toute cohérence. “ La conception quasi religieuse des droits de l’Homme aboutit à limiter la liberté d’expression” Gaz. Pal. : Vous allez même plus loin en évoquant une véritable idéologie des droits de l’Homme dressée contre la démocratie… B. Mathieu : Cette conception quasi religieuse des droits de l’Homme aboutit à limiter la liberté d’expression, pourtant indispensable à la démocratie. Les lois mémorielles, la pénalisation de certaines opinions, la pression du politiquement correct constituent une nouvelle forme de censure qui, sous couvert de protéger les droits fondamentaux, ne fait que conforter l’idéologie d’une élite intellectuelle et politique auto-proclamée. Les droits de l’Homme dont l’objectif à l’origine consiste à protéger les individus contre l’État sont devenus un outil d’un totalitarisme d’autant plus dangereux qu’il s’insinue progressivement sous la forme d’une police de la pensée. Gaz. Pal. : Le juge en tant que gardien de ces droits hypertrophiés devient lui-même un facteur de déstabilisation de la démocratie, estimez-vous… B. Mathieu : La fonction du juge est d’abord d’appliquer la loi, mais il devient aujourd’hui presque exclusivement le défenseur du citoyen contre l’État. Et ça aussi, c’est un élément d’affaiblissement de la démocratie dans la mesure où la justice est en principe un pouvoir de l’État et non un pouvoir dans l’État. On l’a vu lors des dernières élections présidentielles. L’affaire Fillon a soulevé deux questions essentielles liées au respect de la séparation des pouvoirs. D’abord la justice est intervenue au sein de l’Assemblée nationale sans obtenir l’autorisation de son bureau. Ensuite, s’il est vrai qu’aucune règle n’impose aux juges une retenue en période électorale, une suspension du temps judiciaire en période électorale relève de la logique même de la séparation des pouvoirs. Cette situation a conduit à une exacerbation du conflit entre les pouvoirs qui n’est pas satisfaisante. La justice est en passe de devenir un contre-pouvoir à l’État. Or, la conception d’un juge bras armé de la société, ou de l’individu, contre l’État est profondément anti-démocratique. Gaz. Pal. : La démocratie participative pourrait-elle être la solution ? B. Mathieu : En théorie, c’est une belle idée puisqu’il s’agit d’associer le peuple aux décisions. Mais en pratique, le plus souvent, ça ne marche pas car ce sont les militants, les lobbys, qui s’expriment et non pas le peuple dans son ensemble. On l’a vu à l’occasion d’une question sur la fin de vie. Qui s’est exprimé ? Les pro et les anti-euthanasie. Ce qui nous ramène à un système oligarchique dans lequel s’expriment uniquement ceux qui savent et d’où sont exclus ceux qui ne vont ni sur internet ni aux conférences citoyennes. En revanche, cette participation peut éventuellement fonctionner au niveau local. Gaz. Pal. : Mais alors, comment remettre la démocratie sur les rails ? B. Mathieu : Je suis globalement assez pessimiste, mais on peut quand même tenter d’imaginer des solutions. Je crois à la nécessité de l’Union européenne mais il faut clarifier ce qui relève de la compétence de l’Union et ce qui appartient aux États afin que les électeurs sachent clairement lorsqu’ils votent ce que la personne qu’ils élisent aura le pouvoir de faire concrètement. Une autre solution consiste à raviver le référendum, à condition bien sûr que la question soit dépourvue d’ambiguïté et que l’on tienne compte du résultat du vote, ce qu’on a refusé plusieurs fois de faire pour Notre-Dame-des-Landes, la Grèce, ou encore la construction européenne. À l’inverse, je ne crois pas que la pétition constitue réellement un remède en raison de son manque de transparence, ce qui nous ramène au problème de la démocratie participative et donc à l’oligarchie. Mathieu B., Le droit contre la démocratie ?, L.G.D.J., coll. Forum, juin 2017 Propos recueillis par Olivia Dufour 302w0

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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 18:09

Le droit contre la démocratie ?

 

Sommaire

 

Introduction : La crise du modèle européen de démocratie libérale

 

I- Le droit condition de la démocratie

- Le droit de l’État, cadre de la démocratie

- Les valeurs, support idéologique de la démocratie

- La détermination de l’intérêt général, finalité de la démocratie

- Les mécanismes représentatif et majoritaire, outils de la démocratie

- Les exigences juridiques et politiques, conditions de la démocratie

 

II- Le droit facteur d’affaiblissement de la démocratie

- Le développement d’ordres juridiques non-démocratiques

- Les droits de l’homme : un cadre idéologique prévalant sur l’expression démocratique

- Le renforcement des contre-pouvoirs au pouvoir politique démocratique

 

III- Dépasser ou reconstruire la démocratie : de quel droit ?

- Les évolutions possibles de la démocratie

Les mirages de la démocratie participative

Le « repoussoir » du populisme

L'expérience de la démocratie non libérale

- Le droit au secours de la démocratie

Rétablir et clarifier la compétence des États

Rétablir les instruments d'intervention du Peuple dans la prise de décision politique

 

Conclusion : Sauver la démocratie libérale ?

 

 

Pour inaugurer Pour cette nouvelle version du Blog, une présentation de mon nouvel essai : Le droit contre la démocratie?
Pour inaugurer Pour cette nouvelle version du Blog, une présentation de mon nouvel essai : Le droit contre la démocratie?
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