http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/12/29/31001-20151229ARTFIG00107-etat-d-urgence-une-revision-constitutionnelle-pour-quoi-faire.php
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Le Monde.fr | 17.12.2015 à 12h07 • Mis à jour le 17.12.2015 à 12h06
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Par Bertrand Mathieu
La situation politique française, comme celle d’un certain nombre de pays européens, traduit une crise de la démocratie représentative. Les votes pour des partis se situant aux extrêmes de l’échiquier politique, s’ajoutant aux abstentionnistes, sont majoritaires. Les raisons en sont multiples, elles tiennent notamment à la déconnexion entre le choix électoral et les décisions prises qui résultent en fait de contraintes externes, économiques, financières…
Par ailleurs, la démocratie, qui fonctionne dans un cadre national, est concurrencée par des systèmes supranationaux. Or les unes et les autres de ces contraintes n’obéissent pas à une logique démocratique. Les décisions juridictionnelles, nationales ou supranationales, concurrencent le pouvoir politique. Face à cette crise, le recours à la démocratie participative développe les communautarismes et ne permet pas de légitimer les décisions au niveau national. Le jeu, devenu triangulaire, des forces politiques accule les formations politiques traditionnelles à un déni de réalité. L’affrontement entre ceux qui maintiennent la fiction d’une démocratie vivante et ceux qui laissent croire que l’on pourrait, par une simple volonté politique, échapper aux contraintes externes est stérile. Il menace nos systèmes démocratiques qui sont plus fragiles que l’on peut le penser.
Revivifier la démocratie c’est revenir à son sens premier, rendre la parole au peuple. Au-delà de la formule, il existe dans la Constitution un instrument pertinent : le référendum. Craint, du fait que le peuple ne répond pas toujours à la question posée, galvaudé par une utilisation opportuniste, le référendum reste un outil majeur de la démocratie. On dénonce le risque de dérive plébiscitaire, pourtant quoi de plus démocratique pour un responsable politique que d’engager, en cours de mandat, sa responsabilité devant le peuple qui l’a élu. On invoque le risque de dérive populiste, mais priver le peuple de la faculté de s’exprimer ne peut que favoriser les partis populistes.
Plusieurs pistes à explorer
Il est vrai que dans notre système juridique le principe démocratique est tempéré par un principe libéral de séparation des pouvoirs et de garantie des droits. La question se pose alors de trouver un mécanisme qui permette de redonner la parole au Peuple tout en évitant que ne soit remise en cause cette démocratie tempérée qui est le modèle de nos sociétés occidentales.
Plusieurs pistes peuvent être explorées. D’abord redonner la parole au peuple sur des questions importantes, parmi lesquelles ces « questions de société », dont justement le Conseil constitutionnel estime qu’elles sont tellement politiques qu’il n’en contrôle pas la constitutionnalité. Mais aussi éviter que par la voie référendaire ne soient opérées des violations de droits et libertés, fondamentaux au sens strict du terme
Une méthode simple s’impose : soumettre les projets (ou les propositions) de loi référendaire au Conseil constitutionnel préalablement à leur vote par le peuple, le juge constitutionnel pouvant apprécier, tant la clarté du texte, voire de la question, que sa conformité aux dispositions substantielles de la Constitution.
Il ne faut pas se cacher que cette procédure interdirait au président de la République de réviser la Constitution en en appelant directement au peuple sans vote préalable des Assemblées parlementaires. Concernant l’Assemblée nationale, le président pourrait toujours prononcer une dissolution suivie d’élections dont l’un des enjeux serait la révision constitutionnelle. Cette possibilité n’existe pas pour le Sénat, ainsi le Sénat pourrait s’opposer à lui seul à une révision constitutionnelle, ce qui présente l’avantage d’éviter toute révision ne faisant pas l’objet d’un consensus minimum, mais donne au Sénat un pouvoir considérable et empêcherait incidemment toute révision conduisant à modifier le rôle du Sénat. Reste à savoir si cet inconvénient est dirimant au regard de l’intérêt politique que représenterait une telle novation.
Il n’en reste pas moins qu’interroger directement le peuple par la voie référendaire ne peut être une procédure banale, la Suisse reste de ce point de vue une exception justifiée tant par ses traditions que par sa dimension. Plus généralement, le référendum d’initiative populaire doit être entouré de garanties et de conditions qui en rendent l’usage peu commode. La première condition à laquelle doit répondre le référendum, c’est la clarté de la question posée, la seconde tient au fait que la volonté exprimée par le peuple devra être respectée.
Le récent référendum grec sur le plan d’austérité traduit de ce point de vue l’impuissance démocratique, plus qu’il n’en constitue l’expression. Enfin, le principal obstacle au recours au référendum, c’est la crainte de l’auteur de la question, le président de la République, d’être désavoué, par une expression populaire qui traduira plus un jugement sur sa politique qu’une réponse à la question posée. De ce point de vue, plusieurs pistes de réflexion doivent être suivies. D’abord, le référendum permettrait à un président nouvellement élu de s’engager sur quelques points forts de son programme et d’instaurer ainsi un climat de confiance qui constitue un soutien autant qu’une obligation. Si en cours de mandat, et a fortiori, en fin de mandat, le recours au référendum est plus risqué, sauf à constituer une manœuvre opportuniste, il peut répondre à la demande de responsabilité que traduit son appropriation plébiscitaire par le peuple. Encore faudrait-il que le courage politique et le sens de l’intérêt général surmontent les intérêts personnels et les combinaisons. Mais de ce point de vue la Constitution ne peut rien, c’est la qualité des responsables politiques qui fait tout.
S’agissant de la révision de la Constitution, il conviendrait également d’associer le peuple à toutes les révisions importantes.
On ne trouvera là qu’une réflexion à peine ébauchée qui mériterait débat. Elle n’en répond pas moins à la nécessité de rendre la parole au peuple, ce qui dans un système qui se veut démocratique n’est pas si archaïque que veulent bien le penser ceux qui sont, de fait, attachés à un système oligarchique et qui exercent, à ce titre, le pouvoir intellectuel ou politique. Faute de quoi, le peuple risque de reprendre une parcelle du pouvoir qui lui est dénié dans des conditions qui peuvent conduire à tous les débordements.
Bertrand Mathieu est professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris I. Il est ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature
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Les rapports entre les responsables politiques et les juges sont marqués par des tensions dont les médias rendent compte presque quotidiennement. Le droit positif ne traduit pas ce qu'est devenue la justice aujourd'hui : un véritable pouvoir concurrent du pouvoir politique. Conquérant, le pouvoir judiciaire voit sa légitimité contestée. Affaibli, le pouvoir politique voit ses prérogatives menacées.
Cet ouvrage a pour objet d'analyser les causes et les manifestations de la montée en puissance du juge, tant au niveau national que supra national, de proposer les réformes institutionnelles susceptibles de traduire à la fois la reconnaissance de ce pouvoir, garant des libertés, et le respect des prérogatives politiques dans lesquelles s'incarne le principe démocratique et la détermination de l'intérêt général. Cette réflexion est articulée autour de deux idées directrices. D'une part, l'indépendance des magistrats ne doit pas conduire à l'autonomie de la justice. D'autre part, la légitimité du juge ne réside que dans sa fonction de tiers impartial.
Le débat doit être ouvert, il concerne tant la place du juge dans la société que l'avenir de la démocratie. Il intéresse les juristes, mais aussi l'ensemble des citoyens.
Bertrand MATHIEU, Professeur à l'École de droit de la Sorbonne-Université Paris I, a été membre du Conseil supérieur de la magistrature de janvier 2011 à janvier 2015. Il est vice-président de l'Association internationale de droit constitutionnel. Il a été membre de diverses commissions chargées de préparer des révisions constitutionnelles. Il dirige la revue Constitutions.
débats
Bruckner : « En France, dès qu’il s’agit de chrétiens, s’installe une rumeur de mépris »
VINCENT TREMOLET DE VILLERS
PROPOS RECUEILLIS PAR
LE FIGARO - Vous avez passé le week-end de Pâques à Erbil au milieu des réfugiés…
Pascal BRUCKNER - Je faisais partie d’une petite délégation, avec notamment Sylvain Tesson, venue au Kurdistan pour inaugurer une radio intercommunau- taire, al-Salam, qui veut dire la paix. Fondée par la Guide du Raid et Radio sans frontières, financée principalement par l’Œuvre d’Orient, elle se veut la voix des sans-voix. Majoritairement chrétienne, cette radio diffuse à l’endroit de tous les réfugiés, yazidis, sunnites, chiites, syriaques, Assyriens, etc.
À quoi ressemble Erbil aujourd’hui ?
C’est une ville en pleine expansion, à trente kilomètres de la ligne de front. On y trouve des dizaines de milliers de réfugiés répartis dans divers camps : chrétiens, Kurdes, Arabes sunnites et chiites. La lassitude des premiers est palpable : la prise du pouvoir par Daech, la fuite des soldats irakiens à l’été dernier déchirant leur uniforme, jetant leurs armes les a sidérés. Ils vous racontent tous comment leurs propres voisins et amis se sont emparés de leurs biens, occupés leurs appartements dès Daech installé. Celui-ci a fait inscrire sur leurs maisons la lettre N signifiant nazaréen. Leur départ brise un équilibre intercommunautaire pluriséculaire. Quant aux yazidis, n’étant pas de la religion du Livre, ils sont considérés comme des sous-hommes. Pour eux, c’est l’extermination et la mise en esclavage des femmes. Nous avons rencontré une famille chrétienne dont la petite fille de 3 ans et demi a été kidnappée par un émir et probablement revendue pour être mariée.
Un retour est-il possible ?
Difficilement. Il faudrait que Mossoul tombe très vite, ce qui est incertain. Deux scénarios se dessinent : celui d’une bataille longue et sanglante comme à Stalingrad ou celui d’une cinquième colonne à l’intérieur qui permettrait de reproduire ce que fut la libération de Paris. Il faut souligner ici le rôle exceptionnel du Kurdistan, nation en plein éveil : pluraliste, animé d’une combativité exceptionnelle, il incarne à lui seul la résistance à la barbarie. À Erbil, le patriotisme, la volonté de construire un État indépendant après des siècles d’errance et de massacres du peuple kurde l’emporte sur la foi et les querelles théologiques.
Pour les chrétiens, il n’y a pas de solution ?
Ils sont pris entre deux tragédies : partir, c’est mettre fin à des siècles de coexistence, les chrétiens formant le tissu conjonctif entre communautés. Revenir, c’est courir le risque de nouvelles persécutions. Rappelons qu’ils sont là depuis deux mille ans, que leur présence précède de six siècles celle de l’islam et qu’ils n’ont pas été convertis par les croisés. Leur disparition entraînerait avec elle un pan de l’histoire du monde et mettrait en péril le monde islamique lui-même. C’est pourquoi une partie de la jeunesse chrétienne choisit de prendre les armes et de s’engager
aux côtés des pechmergas.
Qu’avez-vous dit à ces réfugiés ?
Lors de la messe de Pâques, Mgr Gollnisch qui préside l’Œuvre d’Orient a demandé à ces personnes humiliées, bafouées, de ne pas cultiver la haine dans leur cœur et de pardonner à leurs ennemis. Je ne suis pas croyant mais, en entendant ces mots, je me suis souvenu d’avoir été baptisé. Pardonner à ses ennemis avant même qu’ils ne soient vaincus, n’est-ce pas le summum de la noblesse ?
Que vous inspire l’histoire de la RATP ?
Nous assistons les yeux grands ouverts à la « houellebecquisation » de la France. La RATP se soumet à l’autocensure préventive et insulte les victimes. D’autres comme Edwy Plenel et ses amis sont des houellebecquiens plus virulents et voudraient nous voir courber l’échine tout de suite. En France, dès qu’il s’agit de chrétiens, s’installe une rumeur de mépris. Avant mon départ pour Erbil, certains de mes amis ont ricané, me demandant s’il ne s’agissait pas là d’une cause de droite !
Le sanglot de l’homme blanc continue ?
Le christianisme est assimilé à tort à l’Occident dominateur, impérialiste, l’islam à l’insurrection des opprimés. Le premier est donc complice du mal absolu, le second éternellement innocent. Les chrétiens ne sont pas des bonnes victimes, ils n’ont pas la cote. Lorsque la guerre a éclaté à Gaza à l’été 2014, il y a eu de nombreuses manifestations en faveur des Palestiniens et c’est légitime. Mais personne n’a défilé pour les chrétiens d’Orient. Au kilomètre sentimental, cela veut dire que la vie d’un chrétien d’Orient, arabe lui aussi, vaut mille fois moins que celle d’un Palestinien. Cette hémiplégie du regard est stupéfiante.
Apparemment, le service de communication de l’Élysée a du mal à employer le mot « chrétien »…
L’Administration Obama avait fait de même à propos de la tuerie dans l’hypermarché Kasher. Cette pudeur linguistique tue les victimes une seconde fois. Bien nommer les choses, c’est les éclairer et dévoiler un projet précis : l’élimination progressive de toute présence chrétienne en terre d’islam qui est à l’œuvre sous nos yeux, au Kenya, en Irak et en Syrie. L’enjeu sémantique est fondamental : on nous intime de ne pas céder à « l’islamophobie » mais alors que de la Mauritanie au Pakistan, les chrétiens sont persécutés, condamnés, tués, le mot même de christianophobie n’a pas cours dans la langue. Formidable subterfuge : les victimes sont désignées comme des bourreaux et inversement.
Peut-on parler de génocide ?
Regardez l’histoire sur les 60 dernières années : les Juifs ont été chassés du monde arabo-musulman après la création de l’État d’Israël. Aujourd’hui, c’est au tour des chrétiens d’être lentement poussés dehors. Mouvement tectonique impressionnant. Ils étaient 1 200 000 en Irak, ils ne sont plus que 300 000, 1 300 000 en Syrie, ils ne sont plus que 700 000. Imaginons que demain tous les Juifs de France, effrayés par les attentats, partent en Israël. L’heure des chrétiens aura-t-elle sonné à son tour ? Probablement. Ce qui commence avec les Juifs se poursuit en général pour tous les autres : catholiques, protestants, intellectuels, athées, mécréants, musulmans libéraux. C’est un implacable mouvement d’horlogerie. Tout se passe comme si l’islam radical voulait effacer toute trace des deux monothéismes qui l’ont précédé et leur faisait payer leur antériorité. Il ne se pense pas comme une religion parmi d’autres mais comme celle qui les résume toutes et les rend donc inutiles. Pour cela, tous les moyens sont bons : l’intimidation, le meurtre, la censure… et en France les idiots utiles de l’extrême gauche.
Sommes-nous trop pusillanimes ?
Nous ne voulons pas admettre que nous sommes en guerre. Nous pourrions au moins exiger la règle de la réciprocité et que le crime d’apostasie soit supprimé en terre d’islam : il y a des mosquées à Rome, y a-t-il des églises à La Mecque, à Riyad, à Doha ? Un film comme L’Apôtre, récit de la conversion d’un jeune musulman au christianisme, n’a pas trouvé de diffuseur. En revanche, Qu’Allah bénisse la France qui retrace le parcours inverse n’a pas eu les mêmes difficultés. Que des Français choisissent de se convertir à l’islam, libre à eux. Mais à charge de revanche. Nous collaborons à notre propre défaite. Houellebecq, vous dis-je.
Le corps des femmes n'est pas à vendre
Je suis contre la GPA, la marchandisation des femmes et l'eugénisme qui se met en place. Signez et diffusez la pétition tout autour de vous
Très belle soirée du Club des juristes hier... la nuit de l'éloquence
Quelques extraits sur ce lien
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/c-la-nouvelle-edition/pid6851-les-extraits.html?vid=1085805
La Nouvelle Edition du 11/06 - Avocats - Quand les ténors se lâchent
canalplus.fr
Le meilleur de la Nouvelle Edition.
Le quinquennat de F. Hollande au fil de l'eau
bertrandmathieu.fr
Le quinquennat de F. Hollande au fil de l'eau -
La formation universitaire des avocats : réforme ou révolution ?
Réponse à Thierry Wickers
Points clés : La nécessité d’une réforme de la formation des avocats renvoie aux nouveaux défis que doit affronter la profession- La réponse qui consisterait à remettre en cause la conception doctrinale du droit au profit d’une conception casuistique renvoie à des enjeux qui dépassent le cadre professionnel et pédagogique-Les facultés de droit doivent néanmoins se réformer en profondeur afin de relever le défi auquel renvoie leur double mission : lieu de recherche et école professionnelle.
Dans un article publié dans cette revue, Thierry Wickers développe la nécessité de réformer la formation des avocats et de faciliter l’accès au droit. Son analyse repose, implicitement, sur une critique de la formation universitaire des praticiens du droit, trop axée sur les aspects théoriques, de nature exclusivement juridique et, finalement, peu propice à la formation d’avocats aptes à répondre aux besoins du public et à gérer l’entreprise que constituent aujourd’hui les cabinets libéraux.
Cette critique, modérée dans le ton, mais fondamentale, doit conduire les universitaires, à la fois formateurs et participant à l’évolution du droit, à réagir.
Il convient d’abord de considérer que le constat auquel se livre l’ancien président du Conseil national des barreaux ne manque pas de pertinence. La place occupée par les cabinets anglo saxons, la réussite des étudiants des Instituts d’études politiques aux concours d’accès aux fonctions judiciaires (lato sensu) doit conduire à l’introspection et à l’autocritique. Beaucoup de formations universitaires, tout du moins celles qui précédent le master 2 (5° année), sont trop théoriques, manquent parfois de cohérence et ignorent un environnement économique, aujourd’hui essentiel.
Faut-il alors corriger le modèle ou le changer ?
La première remarque concerne la formation « science po » qui semble représenter, pour l’auteur, un modèle. On y formerait de bons juristes en enseignant moins et autrement le droit. D’abord, il convient de noter qu’il est difficile de comparer une formation qui pratique une sélection drastique et dispose de moyens financiers importants à des formations qui n’ont pas cette faculté et ces facilités, même si la sélection à l’Université est, en cours de cursus, presque aussi impitoyable, mais que de temps et de moyens perdus ! Par ailleurs, est ce que les concours de recrutement sont formatés sur le modèle « science po » ou est ce que les élèves de cette prestigieuse école sont mieux formés que ceux des universités, fussent elles les meilleures ? La question mérite d’être posée.
La seconde remarque concerne l’enseignement délivré dans les facultés de droit, faut-il abandonner l’enseignement en amphithéâtre, jugé obsolète et lui substituer les « cliniques du droit » ? Les enjeux ne sont pas insignifiants. Maitre Wickers balaye d’un revers de phrase l’objection selon laquelle serait en jeu la pérennité du « droit continental ». Et pourtant… L’enseignement magistral, alors que les méthodes seraient probablement à revoir, offre une construction du droit qui s’appuie sur des principes, pour en décliner des applications. Cette méthode ouvre à une analyse critique et d’ensemble du droit. Elle permet d’en comprendre les cohérences, d’en détecter les incohérences, d’en combler les vides. A l’inverse, « les cliniques du droit » développent une analyse casuistique du droit, dans laquelle la subjectivité occupe une place importante et où les rôles du principe et de l’exception sont brouillés. La jurisprudence évolutive de la Cour européenne des droits de l’homme s’inscrit dans de longues décisions dans lesquelles il est difficile de déterminer où est vraiment la règle de droit. L’influence de la Common law est forte.
Substituer à la vision doctrinale du droit, le « droit en action », pour reprendre l’expression de C. Jamin, cité par l’auteur, constitue un choix qui dépasse très largement les enjeux pédagogiques et professionnels, et renvoie à des enjeux de société. Pour schématiser, la conception doctrinale du droit exprime la vision d’une société ordonnée à partir de valeurs que le droit concrétise, autant qu’il en exprime les mutations. Le « droit en action » renvoie à une société décomposée dans laquelle le droit a pour mission de réaliser un équilibre par des micro-compromis toujours remis en cause. Cette question renvoie également aux rapports entre le droit national et les autres droits, entre la loi et le juge… Les enjeux, quel que soit le point de vue retenu, sont considérables. La substitution d’une conception à une autre est dangereuse car le droit, et les juristes qui sont à son service, sont un outil de cohérence dans une société qui en a, plus que jamais, besoin. Comment être « au service de la société et des libertés » pour reprendre la belle formule de T. Wickers, sans vision doctrinale des valeurs qui les ordonnent du droit qui les organise ? Cet affrontement est stérile, il faut au contraire rechercher la complémentarité. La conception doctrinale du droit n’est, par nature, contraire ni à l’efficacité économique, ni à la maitrise des techniques professionnelles, elle est, il est vrai, insuffisante.
Il appartient aux universitaires d’écouter les critiques des praticiens sans pour autant accepter qu’un nouvel esprit de système soit substitué à celui qui est dénoncé.
Quelques pistes de réforme peuvent être tracées : sélection à l’entrée de l’Université ; augmentation sensible des droits d’inscription compensée par l’attribution de bourses conséquentes à ceux qui le mérite et qui n’ont pas les moyens de financer leurs études ; diversification des sources de financement des universités ; acceptation d’une concurrence régulée ; passerelles, tout au long de la vie, entre l’activité professionnelle et la formation afin que l’échec, notamment lors de la sélection, ne soit jamais définitif ; rénovation des méthodes pédagogiques visant à recentrer l’enseignement théorique sur les fondamentaux, mais avec des approches plus interactives ; évaluation objective et contradictoire des formations et des enseignants-chercheurs, avec, notamment, la participation des étudiants ; maintien de la sélection des enseignants-chercheurs sur la qualité de leurs travaux scientifiques. Mais cela ne suffit pas et, de ce point de vue, nous rejoignons les analyse de T. Wickers, cette formation traditionnelle mais rénovée doit s’accompagner d’une formation complémentaire, et non secondaire, de type « clinique du droit » associant universitaires et praticiens. De ce point de vue, on ne peut se contenter de l’intervention de quelques praticiens comme conférenciers ou chargés de travaux dirigés, qui parfois recherchent autant un titre, car on ne peut les soupçonner d’y trouver un intérêt matériel, qu’ils ne souhaitent s’investir dans la formation de nos étudiants. Il convient également que les examens reflètent cette dualité de formation, plutôt qu’ils ne conduisent à un « bachotage » portant sur des connaissances rapidement obsolètes et facilement accessibles sur la Toile. De ce point de vue, le calendrier universitaire et la « semestrialisation » favorisent un enseignement décousu et parcellaire. De même, l’université doit poursuivre et renforcer son ouverture sur le monde de l’entreprise.
Réforme, complémentarité, sont les moteurs de cette évolution qui reste à dessiner, mais la mise à bas du modèle doctrinal universitaire, ou sa marginalisation, pourraient s’avérer désastreuses. Les facultés de droit doivent relever le défi d’être à la fois des écoles professionnelles et des lieux de recherche.
Bertrand Mathieu
Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne-Université Paris I